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Le concept de consommation responsable est depuis peu un concept très à la mode. Les entreprises de distribution ont intégré l’idée de consommer autrement, le gouvernement parle de consommation raisonnée. La notion de consommation responsable définie une consommation réfléchie où le consommateur est conscient des conséquences de ces actes. De plus, le consommateur responsable appréciera un produit non seulement en fonction de sa qualité globale, c’est-à-dire d’après ses caractéristiques intrinsèques mais également en fonction de ses caractéristiques associées (impact social et environnemental de la production de ce produit). L’incitation à une consommation responsable vient du souhait de contribuer à la modification des modes de production, de commercialisation et de consommation (Véronique GALLAIS).

Selon une enquête du CREDOC (2002), il y a en France près de 20 millions de consommateurs recensés, via les cartes de fidélité, qui se fournissent dans des magasins de grande distribution. Le poids de ce comportement d’achat nous pousse à apporter une attention particulière aux groupes de grande distribution et à leur rôle dans le processus de transformation vers une consommation responsable.

Si on regarde les stratégies actuelles des ces groupes, on s’aperçoit qu’ils s’efforcent de communiquer sur un développement plus propre et plus respectueux des valeurs sociales. Nous voulons pour preuve, les nombreuses stratégies qu’ils mettent en place tant au niveau des relations en amont que des relations en aval. Nous allons en examiner quelques unes.

Du coté fournisseur, une quinzaine de marques de la grande distribution française, se sont réunies, depuis 1998, dans le cadre de l’Initiative clause sociale de la FCD (Fédération du commerce et de la distribution). La FCD déclare, elle-même, qu’il s’agit d’«Une initiative unique au monde, 15 grandes marques, comme Carrefour, Auchan, Monoprix, Leclerc, Casino, les Galeries Lafayette…, qui veulent enclencher un changement de comportement». Toujours selon le FCD, l’objectif de cette initiative est de pousser leurs fournisseurs des pays du Sud à combattre les formes les plus criantes de violation des droits économiques et sociaux (travail des enfants, travail forcé, liberté syndicale bafouée, discrimination, temps de travail, sécurité, hygiène, etc.).

Pourtant, même si l’on peut effectivement constater qu’il y a depuis 1998 une augmentation quantitative du nombre d’audits sociaux réalisés (1 062 audits sociaux dans 27 pays en développement), on est en droit de s’interroger sur l’impact de ces démarches. En effet, comme le note Pascal Erard du collectif «De l’éthique sur l’étiquette», on peut se demander si les conclusions de ces audits reflètent véritablement la réalité sociale dans les filiales ou chez les fournisseurs ? En effet, aucune de ces enseignes ne travaille avec un syndicat local, une association de consommateurs ou une ONG, ce qui garantirait l’indépendance des audits. Apparemment, ces entreprises ne sont pas prêtes à associer les travailleurs au contrôle social. De plus, les fournisseurs sont prévenus à l’avance de la visite sur le terrain d’une équipe de contrôle. L’objectivité de ces audits est donc loin d’être garantie.

Si on regarde du côté des relations distributeur /clients, on peut voir que les stratégies utilisées ont la même orientation et malheureusement les mêmes limites. Afin de les illustrer, nous nous appuierons sur la campagne publicitaire menée par Carrefour depuis début janvier. Ce choix se justifie par le fait que la campagne de communication du groupe est, sans doute, la plus explicite et le plus largement diffusée, ce qui fait d’elle une représentation topique de la tendance stratégique actuelle.

Dans cette campagne, Carrefour moralise le contenu de notre chariot « pour notre pouvoir d’achat, notre santé ou notre environnement ». La campagne va jusqu’à conseiller « d’arrêter de consommer plus pour consommer mieux ». Fondamentalement, nous sommes tous d’accord mais en suscitant de nouvelles attentes chez les consommateurs, Carrefour s’engage, a priori, à apporter de nouveaux repères aux consommateurs dans ses magasins. Une question se pose alors : quels repères ou quels aménagements sont prévus pour répondre à ces nouvelles attentes ? Actuellement, aucune modification n’a été agencée dans les différents magasins : les produits que l’on pourrait qualifier de responsables, comme les produits biologiques, se situent toujours dans un coin bien spécifique du magasin.

La société civile commence à réagir. L’association « Action Consommation » à récemment soulignée cette incohérence en lançant une campagne « Ouvrir les yeux, c’est urgent » en analogie au slogan « Mieux consommer, c’est urgent » de Carrefour. En effet, l’association remarque : «des entreprises modifient leurs politiques d’achat et leurs modes de production, c’est très bien et c’est effectivement urgent. Nous ne pouvons que saluer toute initiative réelle et transversale dans ce sens. Encore faut-il connaître l’ampleur et la cohérence de l’engagement de l’entreprise».

Tout ceci devrait amener les entrepreneurs à réfléchir. Dans ce type de démarche, qu’elle soit issue des groupes de grande distribution ou d’entreprises d’autres secteurs d’activité, une question apparaît comme fondamentale : il s’agit du niveau de crédibilité à apporter à ce type de stratégie ainsi que l’incidence de cette crédibilité (ou plutôt perte de crédibilité). En effet, une simple annonce publicitaire peut-elle convaincre les consommateurs que leurs comportements d’achat sont plus responsables? N’ont ils pas besoin de garanties ou de preuves observables?

Ce comportement de la part des entreprises prônant du développement durable à des fins marketings présente un véritable risque. En donnant l’impression d’une évolution dans le sens d’un développement plus durable, ces firmes peuvent fausser la trajectoire qui pourrait conduire à un réel système d’économie responsable (économie qui intègre les actions sociales et environnementales au même titre que les objectifs commerciaux et financiers, ou en terme économique, adéquation efficace entre une demande responsable et une offre responsable). En effet, en présence de ce type de démarche, les consommateurs ne vont plus « réclamer » de politique responsable à leurs entreprises puisque celles-ci entretiennent l’illusion d’en appliquer une, pourtant aucun changement ne sera réellement observable pour le consommateur, lequel risque alors de se détourner de ces convictions citoyennes (qui ont actuellement plutôt tendance à prendre de l’ampleur).

Il serait donc nécessaire d’entreprendre la définition d’une structure permettant de minimiser ces comportements opportunistes des firmes. Certes, au niveau juridique, il existe depuis la loi NRE (qui impose aux sociétés cotées de mentionner dans leur rapport annuel « des informations sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité ») une plus grande diffusion des informations. Cependant, ces informations ne s’adressent pas prioritairement au « grand public » mais aux actionnaires. En ce qui concerne les garanties pour les consommateurs, rien n’est encore fait alors que les entreprises (et surtout celles de la grande distribution) ont déjà fait du développement durable le centre de leur stratégie de communication. Pourtant, seule la mise en place d’un système garantissant une cohérence entre la communication et les actions des entreprises permettrait de ne pas couper l’herbe sous le pied à ces comportements responsables qui sont susceptibles de déboucher sur un système économique combinant efficience et équité.