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Les évolutions contemporaines de la presse, consécutives au développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication, s’inscrivent dans un processus historique ancien. Aujourd’hui, le choc technologique évolue sous d’autres formes avec la nouvelle vague portée par Internet (services en ligne, commerce électronique, impression numérique). Ce phénomène qui accompagne la mutation de ce secteur révolutionne l’organisation des entreprises de presse.

Il nous semble approprié de qualifier ce secteur de « traditionnel » en raison du rôle joué par son histoire, sa culture d’entreprise et le poids des syndicats du livre. Ces facteurs agissent en particulier sur le choix des stratégies organisationnelles de ces entreprises. La remise en cause de certaines activités, comme les typographes qui montent les articles, les clavistes qui tapent les articles, ou les photomonteurs qui intègrent les photos, se traduit par une certaine résistance au changement, provenant en partie des syndicats du Livre. Face à cette opposition, des expériences ont été mises en place pour tenter d’intégrer, « en partie » seulement, les progrès de l’informatique en « neutralisant » ses incidences organisationnelles, c’est-à-dire en refusant d’adapter l’organisation interne de l’entreprise alors qu’elle se devait d’intégrer de nouvelles technologies. Même si ce type de stratégie va à l’encontre de ce qui est prescrit a priori par la théorie économique, ce choix peut se révéler payant à court terme, puisqu’il permet une meilleure appréhension des conséquences « sociales ».

Cette stratégie de « neutralisation organisationnelle » peut cependant être nuisible à long terme puisqu’elle entraîne un décalage grandissant entre les outils informatiques intégrés dans l’entreprise et son organisation. Il devient alors nécessaire de s’intéresser aux solutions possibles de « remplacement ». En effet, bien que le choix de ne pas procéder aux changements nécessaires peut être positif pour faire face à un risque de blocage à court terme, avec le temps l’incohérence entre la technologie et l’organisation de l’entreprise s’accentue au point de remettre en question l’avenir même de l’entreprise. Pour faire face à un manque de cohésion qui s’amplifie entre leurs outils et leur organisation, les entreprises de presse sont contraintes d’user de nouvelles stratégies en « contournant », par exemple, l’évolution logique de son organisation en passant par une procédure de certification qui permet de faire progresser l’organisation du travail. Cette méthode permet de continuer à « neutraliser » les conflits que pourrait provoquer une adaptation de l’organisation au choc informatique. L’intérêt d’une telle solution est de ne pas affronter directement les problèmes en faisant appel à un organisme extérieur pour aboutir à une prise de conscience interne de l’incohérence organisationnelle.

En outre, il semble que cette résistance au changement pourrait être un élément explicatif du paradoxe de la productivité selon lequel une hausse de la productivité n’est pas toujours consécutive à l’introduction de nouvelles technologies. Une entreprise qui introduit de nouveaux outils informatiques pourrait ne pas voir sa productivité augmenter à cause de la résistance au changement qui empêche son organisation de s’adapter à ces progrès technologiques. Ainsi, cette confrontation entre les NTIC et le secteur de la presse conforte l’idée qu’une informatisation massive sans changement organisationnel adéquat n’est pas un moyen très efficace pour doper la productivité.

Ce choc des nouvelles technologies s’intègre d’autant plus dans la mutation des journaux, qu’il ne se limite pas aux incidences internes que nous venons de souligner. En effet, les nouvelles technologies permettent d’intégrer les entreprises de presse dans le multimédia, domaine très convoité par les holdings. La stratégie de groupes est d’autant plus déstabilisante qu’elle conduit à regrouper des entreprises de presse initialement concurrentes en les soumettant à des décisions communes qui ne relèvent plus d’un niveau microéconomique mais s’inscrivent dans des stratégies internationales. En effet, de nombreuses entreprises doivent aujourd’hui s’adapter aux décisions des groupes auxquelles elles appartiennent alors que ceux-ci diversifient leurs secteurs et s’étendent à l’étranger.

Ainsi, l’émergence de grands groupes de presse et multimédia à l’échelle européenne et mondiale modifie fortement les possibilités d’adaptation des journaux et le jeu de la concurrence. Les entreprises de presse sont aujourd’hui insérées dans des réseaux mis en place par des grands groupes intervenant dans des domaines industriels complémentaires. De nombreux groupes de presse prennent la forme de groupes multimédias soit en étendant leurs activités à l’audiovisuel, le disque, le livre, la publicité, soit à travers l’achat par des sociétés de télécommunication ou de télévision des journaux et/ou des périodiques. Les entreprises perdent ainsi leur caractère « familial » et leurs choix se trouvent limités par des décisions qui répondent avant tout à une logique financière et non plus à une logique industrielle propre à la presse.

La mutation des entreprises de presse vers une logique de groupe soulève de nombreuses interrogations économiques d’ordres concurrentiel et stratégique. En effet, ces rachats enlèvent aux journaux leur indépendance, ceux-ci devant dorénavant gérer leur organisation interne en suivant un fil directeur externe. Ces incidences externes nous interrogent alors sur l’évolution logique de la mutation des entreprises de presse qui perdent lentement et irrévocablement leurs spécificités, et sur la réversibilité de cette évolution.