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Le rapport définitif de la Commission présidée par Olivier FOUQUET vient récemment d’être remis au Premier ministre concernant la réforme de la taxe professionnelle[1]. Cette dernière ne pouvait plus être maintenue eu égard aux virulentes critiques dont elle faisait l’objet. La Commission Fouquet a, par suite, décidé d’opter pour une imposition s’asseyant sur la valeur ajoutée des entreprises ainsi que sur la valeur locative foncière. Cette solution avait pour garde-fous certains principes fondamentaux : la préservation de l’autonomie financière des collectivités territoriales, le maintien du lien avec l’activité économique du territoire, l’absence de transfert de charges vers les ménages, le développement de l’intercommunalité.

Le point essentiel du rapport concerne l’assiette de la nouvelle taxe. L’on peut d’ores et déjà féliciter les membres de la Commission qui préconisent l’abandon de l’assiette des équipements et biens mobiliers dont la prise en compte pénalisait directement l’investissement et amenait les décideurs politiques, nationaux et locaux, à aménager le régime fiscal de la taxe professionnelle par de nombreuses exonérations, facteurs d’incompréhension et d’inégalités.

La solution proposée repose sur une assiette essentiellement comptable. Rien qui ne soit révolutionnaire, puisque la loi du 10 janvier 1980 envisageait déjà cette éventualité. Pourtant, cette dernière n’en demeure pas moins embarrassante, eu égard aux différents référents comptables possibles. En effet, qui du chiffre d’affaires (CA), du bénéfice net de l’entreprise, de l’excédent brut d’exploitation (EBE), ou de la valeur ajoutée (VA) est plus à même de fournir l’assiette idoine en lieu et place des équipements et biens mobiliers ?

Le CA ? Invraisemblable. Le risque inflationniste qu’il porte en germe ne permet pas d’envisager son application. Dans les secteurs, particulièrement celui du commerce, où les taux de marge sont faibles, les entreprises répercuteront la taxe sur les prix pour récupérer leur rentabilité. En conséquence, le consommateur final serait inévitablement la victime désignée d’une telle solution.

Le bénéfice net ? Nonobstant certains avantages comme celui de prendre en considération, contrairement au CA, la capacité contributive des entreprises et de ne pas peser au final sur leurs investissements, la solution n’est malheureusement pas envisageable en considération de son assiette étroite qui conduirait à fixer un taux d’IS à 42 %. Par ailleurs, le caractère volatile d’une telle assiette ne peut correspondre aux besoins de financements des collectivités locales.

L’EBE ? Relativement proche des caractéristiques de la solution du bénéfice net, en ce qu’il est également une assiette volatile, sensible à la conjoncture économique, ce dernier ne peut être considéré comme une voie de réforme acceptable. Par ailleurs, se définissant comme le « cash-flow d’exploitation » dédié au développement de l’outil de production mais aussi comme la rémunération des actionnaires, une imposition de l’EBE pénaliserait directement l’activité de l’entreprise et aggraverait les risques de délocalisation d’une base particulièrement mobile. Il faut donc chercher une voie de compromis. La Commission Fouquet propose la valeur ajoutée.

Plusieurs avantages lui sont reconnus. Tout d’abord une moindre volatilité. Composée en majeure partie de la masse salariale, elle est plus inerte et partant une base de calcul plus stable pour le financement des collectivités. Ensuite, cette assiette comptable étant plus large que le bénéfice net ou l’EBE, elle permettrait l’application d’un taux d’imposition relativement réduit. De plus, elle bénéficie déjà d’une définition fiscale puisqu’elle participe au calcul d’une partie des cotisations de la taxe professionnelle (régime de plafonnement), elle revêt donc une dimension pratique non négligeable. Un inconvénient toutefois : l’absence de lien entre l’entreprise et le territoire. Pour ce faire la Commission opte pour une assiette mixte. A la valeur ajoutée sera associée la valeur locative foncière (VLF) dont le principe est généralement bien accepté par les entreprises. La solution semble toute trouvée.

Néanmoins, certaines réserves ont déjà été exprimées au sujet du rapport Fouquet. Si ce dernier prévoit certains ajustements rendus nécessaires par la combinaison d’une assiette comptable et d’une assiette foncière (notamment contre les risques de double imposition des investissements immobiliers), il peut lui être reproché de mettre en œuvre une réforme qui est défavorable à l’emploi.

En effet, la réforme pèse sans conteste sur le facteur travail, ce que d’ailleurs la Commission ne nie pas, indiquant à décharge que la taxe professionnelle l’affecte déjà et que le transfert de charge fiscale au détriment du travail sera alors quasiment le même. Il est cependant évident que taxer la valeur ajoutée revient à réintroduire, dans l’assiette de la nouvelle taxe, la masse salariale pourtant exclue de celle de la taxe professionnelle.

Par ailleurs, les définitions comptable et fiscale de la valeur ajoutée, intègrent la marge commerciale en ce qu’elle contribue à la rémunération des facteurs de production. Comment, dès lors, ne pas imaginer que l’imposition ainsi assise, qui affecte directement la rentabilité de l’entreprise, ne soit pas susceptible d’être répercutée sur le consommateur final ?

Enfin, dernier avatar, l’avocat général de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) vient de livrer ses conclusions, le 17 mars 2005, suite à une question préjudicielle concernant l’application d’une taxe italienne dont le mode opératoire est similaire à la solution Fouquet. A cet égard, la taxe régionale italienne sur l’activité productive est considérée comme une taxe sur le chiffre d’affaires prohibée par l’article 33 de la 6ème directive. Si la CJCE venait à suivre les conclusions de son avocat général, la réforme de la taxe professionnelle envisagée serait compromise.

Dès lors, l’on aurait préféré qu’à l’instar de la proposition de loi du 16 novembre 2000, l’assiette comptable soit constituée des seuls acquis financiers. Cette assiette qui s’appuie sur la financiarisation croissante, depuis un certains nombres d’années, des placements des entreprises, notamment des plus grandes, a le mérite de faire valoir une taxation qui incitera les entreprises à se détacher des marchés financiers et à orienter leurs investissements vers ceux en capital. Le facteur travail sera ainsi épargné par la taxation et aucune activité ne sera stigmatisée compte tenu des spécificités structurelles de chacun des secteurs. Par suite, pour que l’impôt garde une dimension locale, le recours à la VLF semble s’imposer, cette dernière étant, au final, peu problématique.