Toute l’actualité Lyon Entreprises

La crise économique : jusqu’à quand ?

S’il est bien une affirmation qui semble faire consensus auprès des économistes, experts et autres hommes d’Etats de tous horizons géographiques et de tous bords politiques, c’est que la crise que nous traversons actuellement est « la plus grave depuis le crack de 1929 ». Et pour cause, la crise à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés a largement dépassé la seule sphère bancaire locale pour impacter la finance mondiale et désormais l’économie réelle ; cela fait d’elle une crise systémique qui n’est pas sans ébranler les fondements mêmes du capitalisme. Mais si les mêmes observateurs ont analysé en profondeur les tenants et aboutissants de la crise, isolé les causes et tenté d’y apporter des remèdes conjoncturels (voire structurels), ils restent pour le moins évasifs dès lors qu’il s’agit d’en mesurer les conséquences, notamment quant à la durée de la période de morosité économique qui s’annonce. Sans prétendre apporter une réponse précise à cette interrogation, nous allons tenter d’y apporter quelques éléments de réponse.

Une récession économique bien installée

Si la réactivité des Etats et des institutions monétaires internationales devrait, semble-t-il, éviter une récession économique comparable à celle de 1929, il n’en reste pas moins que les mécanismes inhérents à une récession structurelle paraissent bien établis. La crise financière a engendré des restrictions de crédits qui ont, en retour, un impact négatif sur la consommation et l’investissement privé. Trois canaux viennent autoalimenter ce cercle vicieux : le « canal financier », « l’économie réelle » et le « canal institutionnel ».

Le premier voit l’effondrement des marchés déprécier les actifs détenus par les firmes. Les banques paraissent ainsi particulièrement touchées par ce phénomène ce qui les incite, en retour, à rationner un peu plus les crédits. Deux phénomènes conjoints – qui empruntent le second canal –  tendent à ralentir l’économie : la baisse de la production et le ralentissement des importations/exportations. Cela entraîne des restructurations au sein des firmes (certaines vagues restent à venir) ayant des répercussions sur les niveaux d’emploi et de salaire, et fatalement sur le niveau de consommation. Enfin, le troisième canal a vu les Etats intervenir pour tenter d’amortir le choc lié à la crise financière. Dans un contexte où les marges de manœuvre étatiques sont moindres (croissance en berne, inflation soutenue, chômage persistant, déficits parfois abyssaux…), il se peut que cet interventionnisme pragmatique entraîne un ralentissement forcé des dépenses publiques, voire une hausse des prélèvements obligatoires qui ont pourtant d’ores et déjà atteint un seuil critique dans nombre de pays de l’OCDE.

C’est dans ce contexte que le FMI livre des perspectives de croissance pour le moins pessimistes pour la quasi-totalité des économies planétaires pour l’année 2009 (y compris pour les pays émergents, comme la Chine, l’Inde ou le Brésil). Ce faisant, il convient de se poser la question de l’impact que la crise pourrait avoir sur les pays occidentaux et sur les économies émergentes, notamment d’un point de vue temporel.

Les économies émergentes grandes gagnantes de la crise ?

Le schéma de récession décrit plus haut sied parfaitement aux pays les plus industrialisés. La baisse conjuguée des investissements, de la consommation interne et des exportations couplée à de moindres capacités d’intervention étatiques font peser le risque d’une stagnation économique (voire une croissance molle) durable. La sphère privée devrait probablement connaître une nouvelle vague de fusions-acquisitions qui pourrait se traduire par une nouvelle destruction d’emplois. En parallèle, cela pourrait également avoir pour effet de renforcer une instabilité politique (alternance) déjà latente mais également s’accompagner de politiques fiscales, voire même, pour les plus pessimistes, de régression sociale. Difficile dans ce contexte de mener une politique de pouvoir d’achat…

La situation semble moins délicate en ce qui concerne les pays émergents. Comme toute économie principalement basée sur l’exportation, ces derniers subissent actuellement la crise de plein fouet (puisque les économies occidentales freinent leur consommation). Cependant, ces dernières pourraient profiter de la crise pour réaffirmer leurs positions sur l’échiquier mondial. En effet, ces économies disposent de fonds souverains importants qui, s’ils sont investis judicieusement, pourraient les voir prendre des participations dans diverses industries occidentales stratégiques en cruel manque de liquidités. En d’autres termes, la crise a considérablement affaibli le bloc occidental et offre aux économies émergentes une opportunité d’investissement stratégique sans précédent. Si certaines ont d’ores et déjà pris des participations dans des entreprises et des banques américaines changeant ainsi la face de la gouvernance mondiale, seul le temps nous dira si ces dernières auront pleinement su profiter de cette fenêtre d’attaque…

Et maintenant ?

Toujours est-il qu’une crise de pareille ampleur obscurcit encore davantage l’horizon des décideurs et des investisseurs. Le climat n’est pas en la confiance, alors même que la reprise ne pourra s’amorcer que par un nouvel élan d’investissement, et donc de prises de risques. Pour autant, cette confiance ne pourra être rétablie sans des signaux forts émis par les institutions monétaires internationales et par les Etats. En ce sens, le sommet du G20[1] voulu par Nicolas Sarkozy a défini quelques axes d’action et a réaffirmé la nécessité de poser les bases d’un « capitalisme responsable[2] ». Les Etats se sont ainsi prononcés favorablement à « un plan de relance coordonné, concerté », notamment en intensifiant « la coopération internationale entre régulateurs, renforçant les normes internationales (…) et en veillant à leur application uniforme ». Cinq champs d’action visant à optimiser la surveillance du système financier sont ainsi à l’étude et devront déboucher sur des propositions concrètes avant le 31 mars 2009 : harmonisation des normes comptables, transparence accrue des marchés dérivés, limitation des effets procycliques qui intensifient les crises,  amélioration des pratiques de compensation (afin de limiter la prise de risque par les dirigeants des banques) et remaniement du mandat, de la gouvernance et des modes de financement des institutions financières internationales. Les agences de notation qui ont pour rôle d’évaluer les produits financiers devront, quant-à-elles, « répondre aux normes les plus exigeantes » tandis que les « zones d’ombre » entourant les paradis fiscaux devront être levées.

Ces principes, que d’aucuns pourrait qualifier de nécessaires, voire de triviaux, ne sont pourtant ni fédérateurs, et à notre sens encore moins suffisants. Pas fédérateurs en ce que certaines déclarations faisant suite à ce sommet laissent présager d’une levée de boucliers allant à l’encontre de certains plans d’action, notamment lorsqu’il s’agira de lever le voile sur les paradis fiscaux ou encore de renforcer la régulation dans un secteur, en pratique, souvent adepte du « laissez-faire ». Pas suffisantes en ce qu’il n’a été question lors de ce sommet ni des moyens qui seront mis en œuvre pour reconnecter, au moins partiellement, économie financière et économie réelle, ni d’un éventuel plan de soutien à la demande. En effet, s’il est bien un acteur qui semble avoir été totalement oublié lors de ces discussions, c’est le consommateur. Dans un marasme économique ambiant marqué par une inflation soutenue et un pouvoir d’achat en berne, peut-on seulement envisager un plan global de relance de l’économie sans auparavant réfléchir à un plan concerté de relance de la consommation ?

Julien Pillot ADMEO / GREDEG – CNRS Université de Nice – Sophia Antipolis