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Après la dernière vague de concentrations des années 1990, qui a renforcé les groupes multimarques, l’industrie automobile s’est trouvée confrontée à un problème : comment maintenir la diversité (multimarques) des produits tout en bénéficiant des effets de taille (rendements d’échelle). Volkswagen a apporté une solution au problème en réinterprétant la recette de Alfred Sloan[1] : lier une stratégie de production de masse à une stratégie de diversification, ce qui autorise à la fois des économies d’envergure et de gamme. En effet, la firme de Wolfsburg qui connaissait une baisse régulière de ses profits a entrepris, après la crise de 1992-1993, un important programme de restructuration. L’objectif premier était de rationaliser le développement des produits mais également la gamme des véhicules en réduisant les chevauchements (des produits) et les redondances (des investissements) à l’intérieur du groupe. Le groupe a retrouvé sa vitalité dès 1995, la clé du succès a été de produire soixante modèles différents à partir de quatre plateformes développées par Audi et Volkswagen.

Ces plateformes (aussi appelées dans l’automobile plateformes d’assemblage) permettent de produire un ensemble de véhicules sur une même base technique. De manière usuelle, la base technique est formée du châssis, des essieux et des trains roulants. Néanmoins, cela ne signifie pas que le partage se limite à la base technique. Le groupe Volkswagen[2] dispose également d’une banque d’organes (moteurs, boites de vitesses, boutons, freins, etc.), certains fournis par les équipementiers, qu’il répartit alors sur différents modèles. A titre d’exemple, sur la plateforme de la Volkswagen Golf IV, le groupe produisait également les Volkswagen Beetle et Bora, la Skoda Octavia, la Seat Toledo et l’Audi A3. Toutes ces voitures bénéficient d’organes communs que ce soit au niveau mécanique ou de l’habitacle.

Or, construire des véhicules avec le même ADN, comporte des risques : lorsqu’un composant est touché, tous les véhicules héritent de cette tare congénitale. Volkswagen en a fait les frais plus d’une fois. Récemment, ce ne sont pas moins de 290 000 véhicules que le groupe a dû rappeler pour remédier à des problèmes de fuite de gazole sur divers modèles à cause d’une simple vis défectueuse sur les pompes d’injection des moteurs diesel (de 3 et 4 cylindres).

Autre phénomène inquiétant, l’importance croissante des fournisseurs dans la production automobile (voir la newsletter n°5) peut les conduire, en cas de défaillance d’un composant fourni, à bloquer la production de leurs clients. L’équipementier Bosch, qui est aujourd’hui au premier rang des fournisseurs de l’automobile devant l’américain Delphi, vient, avec un lot de pompes à injection défectueuses, de porter un coup fatal à l’industrie automobile allemande. Les constructeurs BMW et Mercedes ont dû non seulement stopper la production sur plusieurs sites mais également mettre en place une importante campagne de rappels. BMW ne s’est pas encore prononcé sur les suites à donner à cette affaire (l’objectif premier du constructeur bavarois est de résoudre le problème). De son coté Mercedes a déjà mis en cause Bosch dans le recul de ses ventes en janvier. Les ventes de Mercedes Car Group (marques Mercedes et Smart) marquent un recul de 6,4%. Néanmoins, le Groupe Daimler Chrysler semble vouloir malgré tout, se montrer conciliant avec Bosch et entend trouver un accord avec l’équipementier allemand.

Le fonctionnement de l’industrie automobile laisse penser que ce type d’incidents industriels peut se reproduire et cela principalement pour deux raisons. D’une part, l’ensemble des technologies clés se trouve entre les mains de quelques gros fournisseurs. Ainsi, dès que l’un d’entre eux connaît un problème, cela touche un grand nombre de véhicules. D’autre part, l’obsolescence rapide des technologies pose le problème de leur validation. Le « sloanisme » était basé sur une banque d’organes génériques et standardisés. A l’heure actuelle, il s’agit de technologies complexes, difficiles à mettre au point. Or, les impératifs en termes de coûts conduisent à réduire les phases de conception et donc de test et de validation des technologies. Par conséquent, l’industrie automobile intègre de moins en moins de technologies réellement éprouvées. On est alors en droit de se demander si, étant donné la complexité croissante des technologies employées, il ne serait pas nécessaire de repenser le rôle de l’innovation dans la chaîne de valeur automobile, l’objectif n’étant pas de la réduire mais de s’interroger sur les procédures qui permettraient de mieux la maîtriser. Ceci implique peut être de revoir les procédures de validation des technologies mais également la gestion de la qualité.

Cependant, renforcer ce type de procédures pose plusieurs problèmes. Tout d’abord, cela conduirait à augmenter les coûts de développement des véhicules et donc leur prix (ce qui peut poser des problème de compétitivité). Ensuite, cela renforcerait la position des grands groupes, qui sont déjà presque les seuls à pouvoir fournir ce type de technologies aux conditions de prix et de qualité exigées par les constructeurs, ce qui, au final, ne résoudrait rien au problème[3].

Cependant, quels que soient les enjeux, l’ensemble des acteurs de l’industrie automobile se doit de poser le problème sur la table. La multiplication des avaries pourrait bien à terme coûter plus chère que prévu, car, outre l’ensemble des coûts supplémentaires engendrés par la réparation du préjudice subis par les consommateurs, les rappels pourraient provoquer une lassitude et une méfiance des consommateurs (cf. newsletter n° 9) à qui il revient de plus en plus de valider les technologies.


[1] Alfred Sloan, directeur de General Motors, a mis en place, en 1923, un nouveau système de production basé sur la diversification des modèles. Ce dernier, baptisé « sloanisme » à partir du nom de son créateur, consistait à multiplier les combinaisons d’un nombre limité de pièces standardisées dans des véhicules aux carrosseries régulièrement renouvelées.

[2] Pour plus de détail sur la stratégie plateforme de Volkswagen voir :

Simpson T. W. (2003), « product platform design and optimization: status and promise», Proceedings of DETC’03, 2003 ASME Design Engineering Technical Conferences, September 2-6, 2003, Chicago, Illinois USA

Weck L. O., Suh E.S., Chang D. (2003), «Product family and platform portfolio optimization», Proceedings of DETC’03, 2003 ASME Design Engineering Technical Conferences, September 2-6, 2003, Chicago, Illinois USA

[3] Bosch par exemple, détient la plus grosse part des systèmes d’injection haute pression diesel et peine à suivre la demande. Or, comme nous l’avons également vu il y a quelques temps avec la Peugeot 307, dans la production automobile les fortes cadences sont incompatibles avec la qualité