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Le 24 mars 2004, la Commission européenne condamnait Microsoft pour abus de position dominante sur le marché des systèmes d’exploitation pour les ordinateurs personnels (ci-après PC), au terme de 5 ans d’enquête.

L’autorité communautaire de la concurrence a estimé que la firme américaine, qui dispose d’un quasi-monopole sur ce marché (94% de parts de marché), a abusé de celui-ci afin de restreindre la concurrence sur les marchés des serveurs et des lecteurs multimédias. Outre l’infliction d’une amende de 497 millions d’euros, la Commission exige que Microsoft se soumette à 2 mesures :

– La première impose la divulgation par Microsoft, dans un délai de 120 jours, d’une documentation « complète et précise » sur les interfaces de Windows, son système d’exploitation pour PC, de manière à assurer une interopérabilité totale entre les serveurs de ses concurrents et les PC ou serveurs utilisant Windows ;

– La seconde impose à Microsoft, dans un délai de 90 jours, de proposer aux fabricants d’ordinateurs une version de son système d’exploitation Windows sans le lecteur multimédia Media Player intégré, tout en s’abstenant « de recourir à tout moyen commercial, technique ou contractuel ayant pour effet de rendre moins intéressante ou moins performante la version non liée ».

La direction juridique de Microsoft a immédiatement réagi en signifiant son intention de faire appel de la décision, en demandant un sursis à exécution des sanctions. La firme compte sur le fond invoquer une violation de ses droits de propriété intellectuelle, tout en imaginant « assez probable » que la procédure, qui devrait selon elle durer 4 à 5 ans, se solde par un accord amiable, selon un scénario comparable à celui des Etats Unis, où un procès antitrust avait été engagé à son encontre et résolu de la sorte dans les années 1990.

La pertinence de l’argumentation de Microsoft reste discutable, ce pour deux raisons principales :

– Concernant l’intégration de son lecteur multimédia à Windows, Microsoft semble indiscutablement tomber sous le coup de la prohibition par le Droit communautaire de l’abus de position dominante (article 82 du Traité instituant la Communauté Européenne (CE)), qui estime celui-ci constitué quand est subordonnée « la conclusion de contrats à l’acceptation, par des partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats » : le texte vise ici la notion de vente liée ;

– Concernant la violation alléguée de ses droits de propriété intellectuelle par Microsoft, il convient de rappeler que si les accords sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce (ADPIC) annexés au traité fondateur de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) précisent que les programmes d’ordinateurs sont considérés comme des œuvres littéraires et protégés comme tels, la Directive communautaire du 14 mai 1991 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateurs exclut la protection par le droit des informations concernant les interfaces, dans le souci de permettre l’interopérabilité entre les systèmes (articles 1, 5 et 6). En outre, l’article 82 du traité CE considère comme constitutives d’un abus de position dominante les pratiques consistant à « limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs » (ce que l’intégration de Media Player à Windows implique, en plaçant dans une situation d’asymétrie les autres fabricants de logiciels d’accès aux fichiers audio et vidéo, limitant de ce fait le choix des consommateurs) ou l’exercice abusif d’un droit de propriété intellectuelle.

L’argumentation juridique de Windows apparaît ainsi contestable. En outre, sa stratégie judiciaire ne le semble pas moins : les possibilités réelles de confirmation de la décision en appel remettront peut être en cause la possibilité d’un règlement amiable. En outre, face au recours de moins en moins rare au système d’exploitation concurrent Linux, gratuit, réputé plus fiable et pour lequel des centaines d’utilitaires existent, le fait pour Microsoft de se donner 4 à 5 ans risque de lui faire perdre des parts de marché, dans le contexte d’obsolescence rapide des produits de l’économie numérique , sans que soit remise en cause sa position dominante. Le risque est d’autant plus avéré que Linux voit aujourd’hui son développement financé par des acteurs majeurs du secteur, tel IBM, soutien financier qui lui permettra peut être de se développer sur le marché des particuliers. Les investisseurs semblent d’ailleurs enclins à sanctionner la politique obstinée de la firme, dont la cours de l’action a chuté de 4% suite à la décision de la Commission.