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Quand des patrons de PME sauvent l’un des leurs, en toute discrétion

Les 300 véhicules et les 400 salariés des Transports Perraud à Tullins en Isère en clause de sauvegarde, n’existeraient plus à ce jour, si d’autres patrons de PME du secteur du transport de voyageurs n’avaient tout fait pour opérer le sauvetage de l’entreprise. Elle a été reprise par une société collective, une sorte de coopérative de chefs d’entreprise, créée par 23 d’entre eux. Une démarche qui leur donne des idées pour la suite…

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Il existait il y a vingt ans en France 6 300 PME spécialisées dans le transport de voyageurs. Il n’y en a plus que…1 600. 4 700 d’entre elles ont disparu. Soit corps et bien, soit, cas le plus fréquent, elles ont été rachetées pour les trois quarts par un des trois mastodontes de la profession : Keolis, Transdev ou Ratp Dev’…

Il faut rajouter à ce trio, un quatrième arrivant, depuis peu, la Poste Suisse qui a déjà remporté de nombreux marchés de transports en Rhône-Alpes, à travers sa filiale « CarPostal » qui casse les prix, selon les patrons de PME…

Exit définitivement les PME familiales dans ce domaine du transport de voyageurs ? Des patrons rhônalpins de sociétés telles que les transports Berthelet, Pinet ou Borini et d’autres ont décidé qu’ils ne pouvaient plus se laisser tondre la laine sur le dos par ces grands groupes.

Il faut savoir que toutes ces PME se retrouvent en situation de concurrence exacerbée car leurs marchés, les transports scolaires ou ceux de voyageurs, sont attribués par les collectivités par appels d’offres. Et eux, ils ne peuvent répondre à perte en comptant se rattraper sur d’autres marchés.

Perraud : 9ème transporteur privé de France

Il faut bien avoir ce contexte en tête pour comprendre la démarche peu courante de vingt-trois patrons de sociétés de transports rhônalpins qui, sensés pourtant être concurrents, ont sauvé de la faillite un des leurs : les Transports Perraud, basés à Tullins, prés de Voiron, en Isère. Pas un petit transporteur : Perraud est le neuvième transporteur privé de voyageurs de France et le 5ème Rhônalpin.

Ils ont négocié pied à pied avec les banques, réuni 4 millions d’euros pour sauver cette entreprise qui allait tout droit vers la liquidation judiciaire. Avec à la clef la disparition de 400 emplois. De quoi faire alors la « une » des journaux.

Ce sauvetage s’est déroulé discrétement, entre professionnels. Il n’en est pas moins atypique. « Si nous ne l’avions pas fait, les grandes groupes auraient attendu sa liquidation pour reprendre des lignes à bon compte », remarque Alain-Jean Berthelet, des Transports Berthelet.

Comment une entreprise comme Perraud a t-elle pu cotoyer un tel gouffre ?

Un rachat calamiteux

En fait, son Pdg, Serge Perraud qui avait plutôt bien mené l’entreprise familiale jusqu’à présent a fait une erreur stratégique en rachetant en août 2011 les 140 autocars et les 160 salariés du Groupe Eyraud, lourdement endetté et dont l’activité était génératrice de pertes d’exploitation très importante.

Il pensait pouvoir remettre l’ensemble à flot. C’est le contraire qui arriva, ce rachat calamiteux obligeant les Transports Perraud à se placer en procédure de sauvegarde.

C’est alors qu’interviennent ses confrères qui mettent tout en œuvre pour sauver l’entreprise et ses 400 salariés. «  Nous avons réussi à négocier avec les banques créancières des abandons de créance jusqu’à 70, voire 75 %. Cela n’a pas été facile, mais nous y sommes arrivés. Nous avons puissamment été soutenus par le Tribunal de Commerce. Nous n’avons pas supprimé un seul emploi ; et même embauché », raconte Frédéric Pinet, devenu depuis président du directoire des Transports Perraud.

Des transporteurs qui ont l’habitude de coopérer

Pour comprendre les ressorts de ce sauvetage atypique d’un chef d’entreprise par ses pairs, il faut savoir que depuis plusieurs années, les patrons des PME du transport de voyageurs sont regroupés en Rhône-Alpes au sein d’une structure intitulée « Réunir » qui, d’origine rhônalpine a fini par essaimer dans toute la France, à telle enseigne qu’elle rassemble désormais plus d’une centaine de PME du transport de voyageurs.

C’est une association de la loi de 1901 qui s’est dotée d’une filiale de vingt collaborateurs qui assurent la mutualisation pour toutes ces entreprises familiales, d’un certain nombre de services : l’assurance, la formation, etc.

C’est à partir de cette association « Réunir » que s’est opéré le sauvetage de Perraud.

Mais comme il fallait une structure juridique distincte de l’association, les acteurs de ce sauvetage ont créé une autre société, une SA, Easynove, une sorte de coopérative de chefs d’entreprise qui a pris 80 % du capital de Perraud, les 20 % étant détenu par l’ancien propriétaire, Serge Perraud qui a pu conserver la présidence du conseil de surveillance. Le capital investi est bloqué pour sept ans.

La reprise en bonne voie de réussite

Ce sauvetage semble en bonne voie de réussite. « L’entreprise est repartie dans une phase de développement : nous avons gagné un certain nombre de marchés dont un émanant du Conseil Général de l’Isère », explique Frédéric Pinet, président du directoire du Groupe Perraud.

Cette aventure a donné des idées à ses promoteurs. Cette structure entend bien récidiver et aider d’autres confrères. « Nous n’avons pas vocation à sauver toutes les entreprises de transport qui déposent le bilan, mais nous avons fermement l’intention d’accompagner d’autres entreprises qui peuvent avoir à un moment ou un autre besoin de capitaux . »

Pour Philippe Borini, président d’Easynove « On parle beaucoup au niveau gouvernemental de défendre les PME, mais en réalité, rien n’est fait. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de prendre nous-mêmes notre destin en main. Notre objectif est d’attirer de nouveaux investisseurs et de nous appuyer sur des banques pour multiplier les opérations et préserver le tissu des PME…»

PhotoLes quatre mousquetaires d’Easynove : Gilles Pernaton du cabinet Pokka ; Frédéric Pinet (Transports Pinet), président du directoire du Groupe Perraud ; Philippe Borini (Transports Borini), président d’Easynove ; et Alain-Jean Berthelet (Transports Berthelet) et président de « Réunir ».