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Russie : Terre d’opportunités malgré l’embargo, les fluctuations monétaires et les aléas divers…. à condition d’être patient et bien entouré

En matière de stratégie internationale, les cadres à l’export doivent souvent vendre deux fois leur souhait de s’implanter sur tel ou tel marché, la première fois, en interne, auprès de la direction, et la seconde fois, évidemment sur place.

C’est ce qu’ont rappelé plusieurs intervenants lors d’une récente réunion organisée à la CCI de Lyon et concernant justement le plus grand pays du monde, la Russie. Malmenée, mal connue et pourtant terre d’opportunités d’affaires et d’échanges.

Cette réunion était organisée dans le cadre d’un cycle intitulé « que se passe-t-il ? » au sein du Club Russie/CEI, animé par Emmanuelle Vigne. Son « fief » comprend 28 pays allant de la Pologne aux confins de la Mongolie. Justement, que se passe-t-il, en Russie, à la veille des élections du 18 mars qui seront, semble-t-il, sans grand suspense pour Vladimir Poutine ?

« C’est le moment de se positionner sur ce marché plus que porteur » lance en préambule Pierric Bonnard, directeur de la zone eurasiatique pour Business France à Moscou. Mais il reconnaît ensuite que « la Russie a un PIB inférieur de moitié à celui de la France pour une population du double ». Les champs de progression sont vastes !

Les matières premières représentent 30 % du PIB, 50% des recettes de l’Etat et 70% des exportations. La croissance de la Russie a été de 1,5 % en 2017, 1,5 % seulement. Ce pays pourrait faire tellement mieux…surtout sans cet embargo alimentaire décrété par les occidentaux depuis 2014 !

N’étant pas masochiste, la Russie a, à son tour, décrété un embargo sur l’ensemble des produits alimentaires occidentaux, à l’exception des produits comme les vins et spiritueux. Chacun perd à ce petit jeu stérile qui touche les entreprises et les populations. Le cours de l’euro se situe aujourd’hui à 69 roubles entrainant une forte baisse du pouvoir d’achat. La Russie a perdu 30 % de ses échanges avec le reste du monde et le niveau de vie de la classe moyenne a malheureusement chuté.

D’un élément négatif, l’embargo, la Russie voudrait en faire un atout positif. Le gouvernement a mis ainsi en place une politique de substitution visant à refaire du pays un producteur et un exportateur de produits agricoles et agro-alimentaires (céréales, porcs…). La Russie comprend 15 % des terres immergées de la planète. « Dans les super-marchés, on voit de plus en plus de produits russes.

Cependant, les russes ont besoin de savoir-faire, d’équipements et d’ingéniérie, autant d’occasions d’affaires pour nos entreprises » observe M. Bonnard qui rappelle, au passage, que 15 000 têtes de vaches montbéliardes sont enregistrées en Russie. « On remarque un vrai volontarisme politique mais ils ont besoin de pouvoir importer ce qui oblige à certains montages. Du fait des événements, les Russes sont de bons clients qui paient cash ».

La solvabilité est bonne mais ceux qui ont de l’argent ne sont pas toujours des spécialistes des secteurs sur lesquels ils investissent. D’aucuns ont fait fortune dans le web et investissement dans les fromages ! Cela peut dérouter ! Mais les Russes apprennent vite. On parlerait d’un projet de clinique française à Moscou avec un magnat russe des médias. Moscou fut pendant plusieurs années la ville où on recensait le plus grand nombre de milliardaires.

L’art de vivre à la française fait toujours briller les yeux des Russes et à ce stade, on pourrait rappeler, que, malgré tout, « les Russes ont encore une grande affection pour nous. Ils sont très blessés de voir comme ils sont traités. Des investisseurs russes avaient des velléités d’investir chez nous mais ils ne se sentent pas désirés ». D’autres les accueilleront mieux sans doute. « Paris n’est plus le reflet unique de la France, Lyon est aujourd’hui une alternative crédible et nous avons plusieurs dossiers russes en cours » lance Emmanuelle Vigne encore récemment à Moscou. Parfaitement russophone, elle a vécu plusieurs années sur place.

La rénovation urbaine de plusieurs grandes villes dont Moscou qui aujourd’hui compterait quelque 18 millions d’habitants avec sa grande périphérie compose aussi un champ d’opportunités dans divers domaines immobiliers et urbanistiques. Moscou est membre du réseau LUCI que Lyon a créé sur l’éclairage urbain et qui rassemble 66 villes dans le monde. « Mais quand on traite avec les Russes, il faut impérativement essayer de savoir qui sont les véritables actionnaires des sociétés » conseille un banquier dans l’assistance.

 La Russie reste très dépendante des matières premières et des hydrocarbures dont les cours fluctuants obligent à de permanents réajustements.

Elle a des réserves importantes et a mis de nouveaux champs en exploitation en décembre dans l’Arctique pour produire du gaz naturel liquéfié. Le russe Novatek devrait commencer à forer en 2019 en Méditerranée sur des zones d’exploration pétrolières et gazières qui créent des tensions entre le Liban et Israël du fait d’interprétations différentes des frontières maritimes…

Un projet d’avion long courrier

La Russie s’intéresse à de multiples domaines, au nucléaire, aux ENR et à d’autres énergies et industries. C’est un pays d’ingénieurs, de techniciens et le niveau d’études est plutôt bon. Les Russes savent de quoi ils parlent et « ils veulent ce qui se fait de mieux » lance Mme Vigne. « Comme les Français, les Russes aiment savoir comment ça marche alors que les américains veulent plutôt savoir ce que ça coûte et ce que ça rapporte » note M. Bonnard.

La Russie est le premier exportateur d’armes, hors pays de l’OTAN. Dans le domaine aéronautique, les avionneurs russes comme MIG, Sukhoï avec son superjet 100 qui fait appel à des partenaires européens et américains, Irkut qui prépare de nouveaux appareils pour concurrencer l’A 321Néo d’Airbus et le 737 MAX-9 de Boeing, etc, sont autant d’exemples qui illustrent des savoir-faire acquis de longue date au pays de Gagarine, de Marina Raskova ou de Valentina Grizobudova. L’avionneur russe UAC et le chinois COMAC ont décidé de s’allier pour développer le CR 929, un projet d’avion long courrier qui pourrait parcourir 12 000 km.

Les Russes n’ont pas un amour effréné pour les Chinois mais ils mènent avec eux divers projets dont certains autour du lac Baïkal. Les entrepreneurs auralpins se félicitent de la liaison Lyon-Moscou lancée avec Aéroflot mi 2016 et qui enregistre un bon taux de remplissage. Aéroflot, membre de Skyteam, est une compagnie qui, après des années de turbulences a pris le chemin de la croissance et obtenu diverses distinctions. Le gouvernement russe veut en faire un fleuron de son économie. Cette compagnie a intégré le programme « Energy and ecological efficiency program » en pleine conformité avec la stratégie de l’IATA.

La Russie est concernée par la nouvelle Route de la soie. Des trains de fret partent de Wuhan, en Chine. Ils traversent le Kazakhstan, la Russie et la Biélorussie puis la Pologne et l’Allemagne jusqu’au terminal de Dourges.

Gefco, filiale à 75 % des chemins de fer russes (RZD), et qui figure parmi les dix premiers groupes européens de logistique, ex filiale du groupe PSA qui a encore 25 % du capital, coordonne souvent ces opérations entre l’Asie et l’Europe. D’ailleurs, les compagnies ferroviaires de la Russie, du Kazakhstan et de la Biélorussie ont créé une société commune, UTLC.

En matière de nouvelles technologies, de numérique, de software as a service (SaaS), les russes ne sont pas effacés. « Savez-vous que la Russie est, avec la Chine, le seul pays à s’être dotée de ses propres « gafa », et des systèmes du style d’Uber y existent depuis longtemps » relève M. Bonnard qui apprécie la capacité au changement des russes. Le problème, comme en France d’ailleurs, pour leur start-up est davantage le « up » que le « start »  et notamment pour les faire connaître à l’étranger. Le fonds d’investissement russe RDIF est impliqué dans le projet Hyperloop One.

Trouver le bon partenaire

 Trouver le bon partenaire représente, comme c’est finalement la règle en matière d’export, le passage obligé, délicat qui conditionne souvent la suite d’une implantation à l’étranger car la « Confiance » est l’un des maîtres mots en ce domaine.

Après avoir convaincu sa direction, Sylvaine Roda, responsable du département export au sein de la société Aldes et Marc Motta, responsable de zone export pour la CEI  se sont lancés voici quatre ans sur le marché russe.

Aldes conçoit, fabrique, vend, exporte des systèmes de ventilation et dispose de plusieurs filiales dans le monde. La ventilation en Russie est pratiquement inexistante sur le segment de la maison individuelle. Elle est plus présente dans le secteur de l’habitat collectif et elle représente 75 % des installations dans le secteur tertiaire (bureaux, hôtellerie, hôpitaux).  « Sur un marché de la ventilation industrielle non encore mature, il fallait proposer des produits innovants  et différenciants  mais  l’étape incontournable a été d’expliquer aux divers corps de métiers (bureaux d’études, installateurs…) la nécessité de ventiler avant d’aborder les techniques de ventilation » explique Mme Roda.

 Les premiers budgets ont concerné des déplacements pour analyser le marché, étudier la concurrence, adapter la documentation à la maturité du marché, s’assurer que les produits Aldes correspondaient aux besoins du marché russe pour ensuite identifier des partenaires potentiels et participer à des salons.  

 Aldes travaille avec des distributeurs techniques, principalement dans la région de Moscou et en recherche d’autres pour la Sibérie et l’Oural… Aldes organise des séminaires chaque année avec ses partenaires et les accueille régulièrement dans l’entreprise. « Nous avons démarré nos premières actions en Russie en pleine période de crise. Nous avons tenu bon. Ceux qui sont sur place ont un avantage notable et ne laissent pas le champ libre aux autres concurrents européens ».

La France est le premier investisseur en Russie malgré un contexte dégradé. Viennent ensuite les allemands, les italiens. Les chinois et les sud coréens sont très présents en Sibérie. « Les Chinois ont bien profité des sanctions pour conquérir de nouveaux marchés et ils ont su simplifier un maximum les procédures d’exportation, contrairement à certains qui les compliquent » pointe Brigitte Convert, consultante et correspondante de la Fédération des Industries Mécaniques pour la Russie.

« Si les entreprises mécaniciennes ne sont pas attirées, pour le moment, par le marché russe, il faut souligner qu’aucune des PME françaises présente en Russie ne s’est retirée. L’avance technologique est le facteur qui rend des entreprises françaises attractives. Les Russes sont prêts à payer le prix fort pour acquérir des technologies qu’ils ne maîtrisent pas encore » observe Brigitte Convert, parfaitement russophone et qui maîtrise aussi le traitement de texte en cyrillique. Cette dernière continue de recevoir des demandes d’un côté comme de l’autre grâce à un réseau constitué depuis plus de quinze ans à Moscou et dans d’autres régions.

 sept-cents entreprises d’Auvergne-Rhône-Alpes

Près de 700 entreprises d’Auvergne-Rhône-Alpes exportent en Russie plus ou moins régulièrement et une soixantaine y sont implantées comme Cegid, Seb, Gerflor, FP Logistique, Boiron, Dualest, Porcher ou Sanofi…

Voici quelques mois, Emmanuelle Vigne avait organisé à la CCI de Lyon une réunion importante de représentants de plusieurs régions russes. Chacun des représentants de Kalouga, Kirov, Krasnodar, Nijni Novgorod, Rostov sur le Don, Tioumen et Moscou avait dressé un portrait de son oblast en insistant sur leurs atouts notamment industriels et scientifiques mais aussi touristiques.

Peut-être que certains seront à nouveau à Lyon pour le prochain 10ème Forum de l’International qui se déroulera les 27 et 28 mars à Lyon et le 29 mars à Saint-Etienne et Roanne. « Nous attendons une centaine d’experts dont un certain nombre de spécialistes de la Russie » note Mme Vigne.

« Nos entreprises auraient grand tort de se désintéresser de la Russie. La situation est loin d’être figée et, tôt ou tard, les sanctions seront levées » estime Brigitte Convert. Le président Macron sera en mai à Saint-Pétersbourg. Et n’oublions pas la 21ème Coupe du monde de la FIFA, organisée cette année en Russie, en juin prochain avec le match d’ouverture Russie-Arabie Saoudite…. Et vous quand décollez-vous ?

 ANNICK BEROUD