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Le conseil européen : vers un assouplissement du pacte de stabilité et de croissance ?

 Le conseil européen des 26 et 27 juin 2014 n’avait pas, comme unique objet, la désignation du futur président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, en adéquation avec le résultat des élections européennes du 25 mai 2014.

Au-delà de cette légitime désignation, ce Conseil européen devait aussi prendre des décisions importantes sur le fléchissement, ou non, du pacte de stabilité et de croissance, souhaité par plusieurs pays en difficulté, principalement les pays du Sud de l’Europe. Car six ans après le début de la crise financière venue des Etats-Unis, puis la crise économique et surtout la crise d’adaptation de nombre de pays européens aux évolutions irréversibles du XXIème siècle, de plus en plus de voix s’élèvent pour relancer la croissance en Europe et prendre sa place dans une économie mondialisée. Cette crise d’adaptation résulte des différences de trajectoires macroéconomiques au sein d’un même espace hétérogène composé d’Etats performants et d’Etats non réformés et lourdement endettés.

I – Le pacte de stabilité et de croissance.

Mais il est important, tout d’abord, de savoir de quoi l’on parle et de revenir à une définition du Pacte de stabilité et de croissance.

Le pacte de stabilité et de croissance a été signé lors du Conseil européen d’Amsterdam en 1997. Pour la petite histoire, c’est Lionel Jospin, alors Premier Ministre, qui avait insisté (et obtenu) qu’on ajoute le mot « croissance » au pacte de stabilité. 17 ans après, la question de la « croissance » est plus que jamais d’actualité pour les pays endettés. Ce pacte fait suite aux célèbres critères de Maastricht (Traité de Maastricht de 1992), qu’il reprend. Les critères de Maastricht posaient les règles de base pour tout pays candidat à l’adoption de la monnaie unique. Le pacte de stabilité et de croissance reprend donc ces fondamentaux pour qu’un pays puisse se maintenir dans la zone euro. Ces critères sont donc identiques aux critères de Maastricht. Parmi ces critères, les plus importants sont un déficit qui doit être inférieur à 3% du PIB  et un endettement qui ne doit pas dépasser 60% de ce même PIB.

Depuis, ce pacte n’a pas été réellement respecté par nombre d’Etats, et en premier chef, par l’Allemagne et la France dès 2003. Le couple franco-allemand de l’époque, Chirac et Schröder, ont ainsi donné le pire exemple alors même que d’autres pays comme le Portugal ou l’Espagne, à l’époque, s’évertuaient à rester dans les « clous » des critères. Maastricht et Amsterdam avaient pourtant tout prévu : en cas de non-respect de ces critères, une procédure de sanctions pouvait être mise en place, mais à la majorité des membres du Conseil. Qui aurait osé sanctionner la France ou l’Allemagne ? Compte tenu du poids économique et politique des deux premiers pays de la zone euro, les procédures de sanctions n’ont jamais été actionnées. De 2003 à 2008, plusieurs pays se sont réformés, profondément, dont l’Allemagne du même Schröder, d’autres pas, ou peu, comme la France. De sorte que, lorsque la crise financière de 2007 a éclaté aux Etats-Unis (les fameux subprimes et autres bulles immobilières), certains pays furent mieux armés que d’autres lorsque la crise gagna l’UE dès 2008, et se transforma en crise économique et budgétaire. Peu à peu, les dettes et le déficit ont explosé un peu partout en Europe. Et les prêteurs ont augmenté leur taux d’intérêt. Les marchés se sont affolés, et les banques sont devenues plus sévères dans les obtentions de crédit aux Etats, aux collectivités, aux entreprises et aux particuliers. La crise devenait alors économique et sociale, et se généralisait.

Une réforme a bien été menée en 2011, visant à limiter le plus possible les déficits publics : mais elle allait dans le sens du renforcement de la discipline budgétaire (ce qui se concrétisera notamment par la fameuse « règle d’or » insérée dans les constitutions des Etats membres). A ce moment là, le plus urgent était d’éteindre l’incendie face à l’affolement des marchés et donc des prêteurs.

C’est ainsi que depuis la crise de 2007-2008, nombre de dispositifs ont été votés afin de réguler l’économie européenne : dans une liste à la Prévert, cela donnerait : le semestre européen, le two pack, le six-pack, le TSCG (Traité de Stabilité, de coordination et de gouvernance), la règle d’or. Autant de dispositifs qui encadrent sévèrement les finances publiques des Etats membres. Les dirigeants des Etats ont peu à peu pris conscience qu’ils ne pouvaient continuer à vivre à crédit, avec des dettes atteignant ou dépassant leur PIB annuel. Cela a dépassé le cadre européen. Les Etats-Unis eux-mêmes, via leur Congrès, ont appliqué un « plafond de dettes » ne pouvant être dépassé, amenant le pays au bord de la faillite budgétaire (fiscal cliff). Quant aux Etats de la zone euro, ils avaient bien profité de l’euro, monnaie stable et crédible, pour dépenser sans compter car c’était indolore, l’euro ne dévaluant pas en raison de l’engouement des marchés à son égard (recherche par les prêteurs d’une diversité monétaire). Mais tout a une fin.

La zone euro a aussi développé des dispositifs efficaces de solidarité pour les sur-endettés, avec le FESF (fonds européen de stabilité financière), puis le MES (mécanisme européen de stabilité) qui rachetait des titres de dettes des pays les plus malades ou couvraient leurs prêts, ce qui ramènera leur taux d’emprunt à des niveaux plus acceptables. Cette sorte de « FMI européen » (l’Allemagne payant pour les Grecs) pour dur qu’il soit, est quand même moins drastique que le FMI. Certes, tous ces dispositifs ont bien ramené le calme sur les marchés et le retour à des taux d’intérêt plus bas, mais, sans les réformes structurelles, la relance économique, la croissance ne pouvait revenir. Et très vite, la différence fondamentale entre les Etats performants, innovants ayant des produits de qualité à vendre, et ceux qui s’étaient assoupis sur les vertus anesthésiantes de l’euro pour consommer sans produire, sont apparues au grand jour. Sans compter l’absence de convergence fiscale et salariale, autorisant des dumpings dévastateurs. Bref, il manque cruellement à l’euro un Etat (fédéral) pour réduire les écarts de performance.

Ces cures d’austérité, ces purges qui s’étalent sur des années (pour les pays du Sud de l’Europe, il y en aura pour dix ou quinze ans) ont cassé la croissance dans les pays les plus malades (Grèce, Portugal, Espagne, Italie et France) qui par ailleurs n’avaient pas fait les réformes structurelles de fond : flexisécurité ; marché du travail ; développement de l’apprentissage ; investissements d’avenir, recherche et développement vers de nouveaux secteurs porteurs comme le numérique, la biodiversité ou la transition énergétique. Cela s’est soldé rapidement par une croissance faible ou nulle et une explosion du chômage. Et sans résorber les dettes ! On a vite compris que le malade serait guéri, mais mourrait quand même d’un carcan de règles trop rigides et surtout non accompagné de mesures de relance créatrices d’emploi. Le cercle vicieux est enclenché, il sera long d‘en sortir. La croissance ne se décrète pas par de beaux discours volontaristes. Elle se construit…

Peu à peu, le débat est devenu, face à un chômage durable, plus politique et plus citoyen, les dirigeants européens ont été remerciés lors des élections, les uns après les autres. Seuls Obama ou Merkel ont survécu. Au moins l’Europe (la zone euro surtout) aura gagné en solidarité, entre riches et pauvres. En aidant et soutenant les Etats ruinés, en couvrant leurs prêts. Quelle autre région au monde fait cela ? Certes, il y a des grincements de dents… Mais quel pied de nez aux europhobes ! Malheureusement, tout cela est complexe, car nous sommes 18 à partager l’euro (bientôt 19 !) et 28 en UE, donc il faut beaucoup manœuvrer, parlementer.

Christine Lagarde, elle-même, directrice du FMI parle aujourd’hui « d’un pacte trop compliqué décourageant l’investissement public ».

Aujourd’hui tout le monde, y compris la Commission européenne qui a beaucoup travaillé sur la question, semble d’accord pour réfléchir sur les modalités d’un assouplissement de ce pacte. Mais de quel assouplissement parle-t-on ? Assouplissement sur les chiffres du déficit ou de la dette ? Ou sur les modalités de calcul de ces chiffres ? ou encore (et surtout) sur une meilleure classification des « dépenses », selon qu’elles soient de fonctionnement ou d’investissement pour l’avenir ? Ou enfin sur des délais accordés aux plus atteints ?

Quant aux propositions, elles sont nombreuses, signe que la solution n’est pas si évidente que cela, et portent essentiellement, sur ce que l’on devrait exclure du calcul du déficit. Les Italiens aimeraient que l’on sépare les dépenses d’investissement et les dépenses de fonctionnement ; les Allemands voudraient que l’on puisse tenir compte des réformes structurelles; et les Français voudraient que l’on intègre des dépenses jugées « d’intérêt général européen », comme le coût de la Défense. Les interventions au Mali, en Centrafrique pèsent sur un budget exsangue, et devraient être supportées par l’ensemble des Etats européens, au moins les plus importants. La sécurité et la démocratie, cela a un coût. L’Union, si elle veut survivre, doit développer de la solidarité à tous les niveaux y compris pour notre sécurité et nos valeurs. Donc il faut s’intégrer, se fédérer beaucoup plus. Grossir, ou disparaître.

En fait, il faudrait prendre toutes ces idées à la fois, et vite, et ne pas les opposer entre elles mais les combiner. Rigueur ET relance. Pourquoi seraient-elles incompatibles ?

II – Un axe franco-italien ?

Un axe franco-italien a semblé se mettre en place lors de ce Conseil européen. Ce n’est pas la première fois que les Français tentent de trouver des alliés, pour faire fléchir la chancelière allemande, et ce, malgré le poids, encore important, du couple franco-allemand. Il y avait déjà eu dans le passé récent, dès fin 2012, des tentatives de rapprochements entre Hollande et le Premier ministre espagnol Rajoy, puis entre Hollande et Letta, le prédécesseur de Renzi. Mais cela n’a jamais été plus loin que les incantations politiques. Certes Mattéo Renzi, le nouveau premier ministre italien, bénéficie d’une aura sans précédent auprès de nos gouvernants français. Mais Renzi a vite coupé court à un tel projet, rejetant avec force un front méditerranéen. Qui voudrait (peut ?) se couper de l’Allemagne ? Il faut donc que les pays cigales convainquent les pays fourmis qu’ils combineraient rigueur budgétaire et relance économique. C’est fromage ET dessert, et pas l’un sans l’autre… On y vient enfin, à tout petit pas. C’est heureux. Mais les pays vertueux sont méfiants, les cigales ont fait tellement de promesses depuis 2003. C’est encore le cas de la France qui tergiverse, biaise, parle, avance, recule, temporise, promet toujours des taux de croissance irréalistes, mais ne fait –presque – rien. Ou plutôt a choisi l’homéopathie sur 15 ans, plutôt que la rigueur sur 5 ans… C’est un choix politique délibéré. Il faudra l’assumer… En attendant, la dette ne baisse toujours pas, seule sa hausse ralentit depuis 2013. Nuance ! Mais elle dépassera 2.000 milliards d’euros d’ici la fin de cette année. Soit 100% du PIB ! La seule proposition qu’a faite F.Hollande, à la veille du Conseil européen, dans un document adressé à Herman van Rompuy, est un programme d’investissement sur cinq ans en « tirant parti des flexibilités du Pacte », et « en tenant compte des réformes engagées par les pays et de la situation économique ». Ses propositions, de revoir, finalement, les règles budgétaires, n’ont pas eu un grand succès.

Même l’Italie se réforme – un peu – plus vite depuis Monti, Letta, et à présent Renzi. Certes, Renzi présente de nombreux atouts : c’est ainsi un des rares chefs d’Etat en exercice à n’avoir pas perdu les élections européennes et locales (41% pour son parti social-démocrate) ; c’est si rare que cela mérite d’être rappelé. Il ose même parler d’Europe, régulièrement, « je veux une Europe qui ait une âme ». A 39 ans, il incarne une nouvelle génération de dirigeant européen, et europhile, au sein d’un Conseil européen sexagénaire et passablement eurosceptique… Espérons que cette présidence italienne de l‘UE fera bouger les choses. Mais combien de temps durera-t-il à la tête de l’Italie ?!

Enfin, et c’est cela le plus important, il a présenté, le 24 juin, un ambitieux programme de réformes « sur 1000 jours » devant la Chambre des députés.

Ses objectifs sont multiformes :

– réduction de la dépense publique (l’Italie a une dette qui atteint 135,2 % du PIB !) ; avec quelques réformes comme la baisse du nombre de fonctionnaires (moins 85.000) d’ici 3 ans, l’Etat économisera ainsi 32 milliards d’euros ; mais aussi la réforme territoriale, avec la suppression des provinces (-3.000). L’Italie a aussi quelques atouts : son déficit est passé sous la barre des 3% (2,6%)

– réinjecter de l’argent dans l’économie, en redonnant du pouvoir d’achat aux plus pauvres, par la baisse des impôts, mais aussi par le paiement des dettes que l’Etat a envers les entreprises (30 milliards d’euros)

– relance par l’investissement via des prêts de la BEI

– par des réformes structurelles, comme la réforme le code du travail ;

Pour mener à bien ce paquet de réformes, il a scellé un accord avec les partis de gouvernement afin de constituer une alliance. Ndlr : vu de France, on croit rêver !

L’Italie post-berlusconienne (enfin !!) redevient un pays incontournable dans la construction européenne.

L’économie italienne est toujours la troisième économie européenne : le taux de chômage s’élève, certes, à 12,70% (il a doublé en 7 ans) ; mais l’Italie est en excédent primaire : les entreprises n’ont pas de dettes, et elles réexportent surtout des produits manufacturés. L’industrie va mieux.

Et puis on retrouve, à la présidence pour six mois de l’UE, un grand pays, européen, après Chypre, l’Irlande, la Lituanie et la Grèce, et avant la Lettonie et le Luxembourg, un pays qui compte, qui a l’ambition de développer de vrais projets européens, et les moyens de faire entendre sa voix, surtout avec le « culot » de Renzi qui oscille, il est vrai, entre audace et démagogie.

Face à ce profil, à condition que cela ne soit pas l’énième effet d’annonce (Monti et Letta avaient, en leur temps, aussi élaboré des plans de réformes drastiques, jamais abouti : on se souvient, par exemple, de la volonté de diminuer par deux le nombre de députés et de sénateurs…), la France fait bien piètre figure, et apparaît, bien faible, immobile. La France suit, à défaut, réellement, de pouvoir réorienter quoique ce soit, imitant avec retard et de façon moins « brutale » le … schéma italien. Chez nous, les adaptations dureront très longtemps. On doit être maso….

La France est dans le viseur de la Commission européenne, depuis quelques temps, pour non respect de ses engagements structurels. Car il est évident qu’avec une croissance faible, on ne pourra évidemment pas respecter le délai de 2 ans (2015) accordé par la Commission pour réduire notre déficit. L’absence de réformes structurelles en profondeur est un mal récurrent dans notre pays : chaque conflit social (et ils sont nombreux ces derniers temps, de la SNCF, à la SNCM ou aux intermittents) est là pour rappeler combien nous sommes un peuple difficile à réformer, fier et belliqueux. Ça passe ou ça casse… il faut rappeler aussi que les réformes structurelles n’auraient un effet sur la croissance que dans 2 à 3 ans au mieux, malgré les rodomontades nationalistes d’Arnaud Montebourg qui pérore contre Bruxelles et la BCE, alors que les ¾ de l’Europe ont bien moins de chômeurs que nous !

III – un Conseil européen en trompe l’œil ?

Sur le plan de la communication politique, ce Conseil est une réussite. Il redonne un peu d’espoir aux peuples du Sud meurtris par des plans de rigueur, et qui ne voient pas, ou si peu, le retour de la croissance.

Mais voilà, aucun Etat n’a remis en cause le principe même d’un « Pacte de stabilité et de croissance ». Même si Mattéo Renzi, adepte des formules choc, avait déclaré, avant le Conseil, que « le Pacte de stabilité est plutôt un pacte de stupidité », il a vite reconnu ce pacte en acceptant ses marges actuelles de flexibilité. D’où de – longs – débats sur l’assouplissement ou non, et selon quelles modalités. Comment en effet, desserrer le carcan budgétaire sans retomber dans le laxisme qui a ruiné les Etats ? Même l’Allemagne accepte de réfléchir à un assouplissement, par le vice-chancelier SPD Sigmar Gabriel, allié d’Angela Merkel pour gouverner le pays. Le célèbre groupe allemand « Die Glienicke » a bien travaillé en ce sens comme d’ailleurs le groupe Eiffel en France avec son excellent manifeste « pour une union politique de l’euro ». Bref les lignes bougent, enfin. Il était temps. Rigueur, oui, mais combinée à de la relance, ce serait mieux. Pour cela, il faut réinterpréter les paramètres du pacte. Mais surtout aller beaucoup plus loin, et dans tous les domaines. Plus facile à dire qu’à faire.

Parce que nous avons, je ne cesse de le répéter depuis quelques années déjà, des dirigeants frileux, sans vision, et l’œil rivé sur le pouls de leurs opinions publiques.. Donc frileux et … démagogiques. Les peuples ont peur de la mondialisation, et de l’Europe. Et bien, ils vont dans leur sens, au lieu d’expliquer, et de réformer. A hésiter en permanence entre le « déshonneur ou la guerre », ils auront… les 2.

Pourtant, ils ont tous de très bons conseillers qui leur résument d’excellents rapports ou notes : ceux de l’OCDE, du FMI, de la Banque mondiale, des banques centrales nationales, de la BCE, de la BEI, sans compter les Instituts, fondations et autres think tank. Que disent-ils ? La même chose, à peu près. L’Europe est au milieu du gué : soit elle avance dans l’intégration politique, avec budget sérieux et harmonisations fiscales, sociales, industrie européenne, politique de croissance concertée (et non concurrence entre Etats), soit les dirigeants n’ont pas ce courage (transfert du peu de souveraineté qu’il leur reste) et tout peut imploser, surtout avec les percées, ici ou là, des nationalistes qui poussent aux replis identitaires et aux frontières dévastatrices. Sont-ils donc myopes, ces dirigeants, au point de ne pas voir la réalité des chiffres ? Patrick Artus le rappelait encore récemment dans la tribune.fr. Si on ne relance pas la croissance par des politiques convergentes, solidaires et fédérales, par des investissements massifs, et en donnant aux entreprises une taille critique pour accéder aux marchés mondiaux, la zone euro va se trainer à 1% (au mieux) de croissance annuelle pour les dix prochaines années (oui, c’est bien dix) contre… 3% aux Etats-Unis, 4% en Asie, et 5% en Afrique. Nous devons faire concurrence aux autres, mais pas entre nous, Européens, entre nos petits pays vieillis qui s’arcboutent sur leur prétendu souverainisme dépassé. Que nos dirigeants frileux, le paient immédiatement en étant « remerciés » du pouvoir, c’est leur problème. Mais de tels piètres résultats font haïr l’Europe, rendue à tort, responsable de la situation. Là est toute leur responsabilité devant l’Histoire. Il faudrait presque ériger des « tribunaux économiques » pour les juger pour « manquement économique grave », ou « incurie », ou « immobilisme », etc.

Il n’y a aucune fatalité à l’atonie économique là où le monde va de mieux en mieux, et où 2 milliards de personnes supplémentaires se mettent à consommer, absolument de tout, y compris des loisirs et du tourisme. Pourquoi quelques pays du Sud de l’Europe n’arrivent-ils plus à produire et proposer ce que les émergés voudraient nous acheter ? Pourquoi attendre que ces pays émergents et émergés fabriquent ce que nous avons cessé de fabriquer ?

Et pour aussi important que soit le débat sur l’assouplissement ou l’aménagement du Pacte, il faut être conscient qu’il n’est qu’un élément de la relance économique.

Les chantiers et défis pour s’adapter au monde du XXIème siècle sont donc immenses, il ne faut certes pas négliger cet élément institutionnel économique et budgétaire que constitue le pacte de stabilité et de croissance. On sait depuis longtemps qu’il y a une divergence doctrinale selon les chapelles politiques : le centre-droit PPE est plutôt sur la ligne « sans la résorption des dettes, l’Europe sera laminée » ; les autres (PSE) disent « sans croissance économique, point de salut ». Fausse querelle, qu’il faut vite dépasser, vu l’urgence. Car il faut travailler à la fois sur les deux points fondamentaux.

Il y a parfait consensus sur les critères (3% maxi de déficit et 60% maxi de dette, par rapport au PIB). Cela, on n’y touche pas. Avis à quelques uns qui rêveraient encore « de ne pas payer ses dettes ». Comme on aura besoin de toutes les liquidités des émergents et émergés, il vaut mieux rester responsable. Mais, on peut, en revanche, jouer sur les délais. D’ailleurs, Barroso et van Rompuy, les « bientôt partis » que personne ne regrettera, n’ont pas manqué de souligner que le Pacte « était déjà flexible », puisqu’il avait permis d’accorder des délais de 1, 2 et 3 ans, pour rentrer dans les clous des critères, à plusieurs pays, dont la France bien sûr, (France, Espagne, Pologne, Portugal, Pays-Bas et Slovénie). Ce délai est censé permettre de revenir aux critères, et aussi de se réformer. Ce qui me fait dire que la France sera dans une situation inextricable en 2015, elle qui aura confondu délai avec « fuite en avant ». Qui acceptera de lui accorder un nouveau délai en 2015 ?… La Commission ? Ses collègues gouvernementaux ? Rien n’est moins sûr. En outre, cela donne du grain à moudre à ceux qui considèrent que tout assouplissement est risqué, car il peut être une prime ou une incitation au laxisme et à l’immobilisme.

Fort de son « programme sur 1000 jours » et de la présidence de l’UE pour six mois, l’Italien Mattéo Renzi a fait valoir que le coût des réformes qui contribueraient à la croissance devait être considéré comme un investissement, et non comme une « dette ». On revient ici sur le concept de « bonne dette », productrice, et de « mauvaise dette », improductive. Renzi a même déclaré que les « investissements dans les infrastructures digitales devraient être sorties du Pacte de stabilité ». Là, on est parti pour de longues palabres interprétatives. Même si Siim Kallas, Commissaire chargé de l’euro par intérim, a vite coupé court à cette vision des choses : « une dépense publique doit être imputée au déficit public quelque soit la nature de l’investissement. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise dette. Le Pacte de stabilité constitue un cadre réglementaire solide, un pilier qui génère de la confiance ». Cela a au moins le mérite d’être clair !!! Le ministre allemand Wolfgang Schaüble a enfoncé le clou, souhaitant en finir avec « les rumeurs selon lesquelles il y aurait une alternative entre réformes structurelles et assainissement budgétaire ».

La messe est donc dite : le Pacte ne changera pas. Il restera à l’interpréter de façon optimisée… Et là, le choix du futur commissaire européen en charge des affaires économiques et financières (« le commissaire de l’euro ») sera déterminant… On sait déjà, par Jean-Claude Juncker, le nouveau président de la Commission, qu’il sera issu de la famille social-démocrate (Ndlr : ce sera Pierre Moscovici, même si l’autre candidat est de taille, s’agissant de Jeroen Djisselboem, l’actuel président de l’Eurogroupe). Les débats ne sont pas prêts de faiblir, surtout dans la perspective de la transmission, à la Commission, mi-octobre, des projets de budgets nationaux. Surtout avec le programme « pour l’Italie et pour l’Europe » de Renzi qui appelle à la mobilisation de la finance en faveur des investissements (finance privée mais aussi publique : BEI, BCE, « projects bonds »). Avec son goût pour les phrases choc ou démagogiques : « les réformes en Europe sont décidées par les chefs de gouvernement, pas pour les banquiers ». Il y a néanmoins des propositions intéressantes : création d’un « Fonds d’investissement européen », recourir plus systématiquement aux projects bonds – qui sont encore dans les limbes – en lien au budget communautaire pour financer de grands projets, augmenter le capital de la BEI de 10 milliards d’euros. L’Italie propose encore un budget pour accompagner les pays de la zone euro dans les chocs des réformes qu’ils entreprennent (Ndlr : donc là il faut un vrai budget européen, avec des dotations supplémentaires).

Ces propositions de réformes économiques et structurelles vont bien avec la flexibilité tolérée par le Pacte : les délais accordés pour rentrer dans les critères doivent impérativement se traduire par des réformes de fond, concrètes. C’est ce que pensent ou disent Jeroen Djisselboem, Wolfgang Schaüble et Angela Merkel. Et ces réformes doivent aboutir à des résultats tangibles, sinon ça ne compte pas.

En fin de compte, on inverse la problématique : les réformes concrètes, structurelles, autorisent un peu de souplesse. Et non pas l’inverse. Ce que résume Jeroen Djisselboem : « obtenir des résultats tangibles permettra aux pays concernés d’acheter plus de temps ».

Il appartiendra à l’Eurogroupe, au Conseil européen, et surtout à la Commission européenne, d’évaluer tout cela en détail. Madame Merkel a d’ailleurs précisé que « ce ne sera pas aux Etats de décider eux-mêmes de l’application de cette flexibilité du Pacte, mais à la Commission ». On voit bien que les pays fourmis se méfient encore des pays cigales qui ont promis tant de fois d’assainir leurs finances finalement pour ne rien faire, pas même des politiques de réformes structurelles, d’ailleurs.

Le Conseil européen de juin montre aussi que Paris n’a rien obtenu, le Pacte perdure avec ses réformes structurelles obligatoires. La France devra donc encore négocier avec la nouvelle Commission un nouveau délai de grâce pour satisfaire aux critères, après 2015… La seule chose qu’elle aurait obtenu (en coulisse), c’est une vice-présidence et le poste clé de Commissaire aux affaires économiques et monétaires (Pierre Moscovici).

Ce qui serait alors un succès politique pour un Etat qui ne tient pas les délais supplémentaires de 2 ans qu’il a obtenu pour revenir aux 3%, mais qui ne respecte pas non plus ses engagements de réformes structurelles !

Juste avant le conseil européen des 26 et 27 juin, François Hollande, dans sa lettre de propositions adressée à Herman van Rompuy, hormis le plaidoyer sur les marges de manœuvres du Pacte, a émis une idée intéressante, qu’il faudra reprendre tôt ou tard : il s’agirait d’émettre de la dette européenne à hauteur de 1.200 milliards d’euros sur cinq ans, soit, comme le précise Jean Quatremer (Libération du 27 juin), « neuf fois le montant du plan Marshall ou 2% du PIB communautaire (de 12.000 milliards d’euros) ». 1.200 milliards sur 5 ans (soir 240 milliards par an), cela reste quand même modeste, mais ce serait un bon début. Dommage que le Conseil n’ait pas repris cette idée. A creuser. Il faudrait d’ailleurs approfondir, amplifier un débat transeuropéen sur les réformes et les projets au-delà des postures de tel ou tel.

Mais il y aura d’autres conseils européens. D’ici mi-décembre, un bilan du cadre budgétaire européen (six-pack et two-pack) sera conduit. Le nouveau président de la Commission, Jean-Claude Juncker, sera peut-être moins à la solde des chefs d’Etat et de gouvernements que son prédécesseur. Il faut en tout cas l’espérer, même si son long passé de gouvernant politique le rendra peut-être enclin à des compromis médiocres…

Il y a quand même des choses qui avancent.

La BCE apporte sa contribution à la relance économique. Elle fait même le maximum avec ses statuts actuels. C’est remarquable. Remercions son président, Mario Draghi, pour son action. La BCE accroît son soutien monétaire à l’économie. Le but est de favoriser l’injection des liquidités des banques dans le circuit économique, via leurs prêts, alliant souplesse et bas taux d’intérêt.

D’abord, elle vient d’abaisser son taux de prêt marginal de 0,75% à 0,40%, et son taux directeur pour les banques (celui qui conditionne nos prêts) de 0,25% à 0,15%. Ce qui va mécaniquement rendre le crédit plus accessible aux TPE, PME et aux particuliers, et accroître la masse monétaire en circulation.

Ensuite, et on n’en a très peu parlé, la BCE, pour la première fois de son histoire, a annoncé, pour au moins deux ans, un taux de facilité (taux appliqué aux banques) négatif de – 0,10%. En clair, cela signifie qu’une banque qui laisse ses dépôts en euros à la BCE doit lui payer un intérêt ! Le but est donc qu’elle les retire au plus vite pour les prêter au secteur économique. Cette mesure ne suffira pas à relancer massivement la croissance, mais elle y contribuera sûrement. Et puis, ce taux de – 0,10% n’est peut-être qu’un début….

Croissance atone, caisses vides, les Etats sont coincés : ils ne pourront relancer la machine sans actionner ce qui reste : les fonds structurels, la BEI, les projects bonds, la mobilisation de l’épargne privée (évaluée, en UE, à 40.000 milliards d’euros, dont 3.400 milliards en France) grâce au desserrement des entraves du crédit bancaire, et même (idée émise par l’Italie) le développement du financement obligataire des PME, en les regroupant pour une émission commune de titres sur les marchés. La BEI est beaucoup trop frileuse, alors que l’UE souffre d’une vraie crise de l’investissement. La BEI vient d’ailleurs de révéler que les niveaux d’investissements sont encore inférieurs à 17% par rapport à leur niveau de 2007.

A tous les niveaux, il faut un fédéralisme économique, budgétaire, financier, fiscal et salarial. On en revient toujours à la même idée : se fédérer et non se concurrencer entre Européens. Se fédérer pour être plus fort aussi, en mutualisant ressources et dettes. On sait que la relance par la consommation ne suffit pas. La relance par l’investissement est indispensable, sinon les écarts de performance entre le Sud et le Nord perdureront. Il faut donc se donner les moyens financiers d’une telle relance. Par une forte et rapide intégration politique économique. Les efforts doivent être à la fois faits par les Etats, vu l’hétérogénéité entre Etats membres, et aussi collectifs et solidaires.

Parmi les Etats faibles, la France doit faire des efforts considérables, politiquement et culturellement pour s’adapter à la mondialisation, reprendre confiance dans l’avenir, ne surtout pas s’enfermer dans « des frontières de l’esprit ou du territoire », selon la belle formule de Dominique Louis (les échos 10/07/2014). Notre déclin industriel par exemple s’explique par un faible investissement privé, qui nous a rendu moins compétitif sur les filières d’avenir (numérique, énergie, environnement). Le crédit est un élément important aussi, car une entreprise peut disparaître en six semaines. En France, 63.000 entreprises ont fait faillite en 2013 pour des seules questions budgétaires (pas de crédit obtenu) ou de trésorerie

Nos entreprises n’ont pas la taille suffisante pour affronter la concurrence extérieure à l’UE, il nous faut beaucoup plus d’ETI. Quant à l’exportation, nous n’avons pas assez le goût de la « prise de risque ». D’où trop peu d’entreprises exportatrices par rapport à nos voisins allemands ou autres. Or notre croissance ne passera que par les exportations hors UE, notre marché intérieur étant saturé (voitures, équipements ménagers, etc).

De son côté l’Allemagne a fait des efforts, des concessions pour ne pas « écraser » ses voisins. Pilote de la zone euro, elle a « lâché du lest » sur ses conceptions rigoristes, dès 2010. En permettant l’assistance financière aux Etats faillis, la politique de souplesse de la BCE, les mécanismes de garantie des prêts. Même la Cour constitutionnelle de Karlsruhe y a mis du sien… En échange, elle attend bien sûr de ses partenaires une certaine réciprocité dans les réformes structurelles à engager… Elle continue sur cette voie depuis ses élections législatives de septembre 2013, qui ont abouti à un gouvernement de coalition CDU/SPD (ndlr : côté français, on pourrait en prendre de la graine, pour enfin se réformer…). Travaillant donc ensemble, Wolfgang Schaüble, Ministre des finances (CDU), et Sigmar Gabriel, vice-chancelier et Ministre de l’économie (SPD), proche de la ligne Renzi / Hollande pour relancer la croissance au Conseil européen.

Et ça marche ! On avance déjà vers un SMIC européen, avec un smic « franco-allemand ». D’autres suivront. L’Allemagne vient d’assouplir ( !) le régime des retraites, avec un retour partiel à la retraite à 63 ans. Comme quoi, les lignes bougent, lorsque l’on est courageux et… bien réélu !

Mais collectivement, il faudra aller plus loin sur le Pacte […] de croissance, si l’on veut sauvegarder la cohérence de la zone euro, avant-garde possible d’une intégration politique qui urge… Car non seulement l’assouplissement du Pacte a tourné un peu au marché de dupes au Conseil européen de juin, vu que l’on a entériné des assouplissements déjà prévus par le Pacte lui-même, à savoir accorder des délais pour réduire sa dette et son déficit si l’on s’engage vraiment dans des réformes de fond, mais on a gardé (pour l’instant) un dispositif important, et en apparence anodin, mais qui est devenu redoutable après la grave crise des années 2008-2011. A savoir, que « chaque Etat ayant un endettement supérieur à 60% de son PIB devra réduire de 1/20ème par an l’écart entre son taux d’endettement et la limite de 60% pour ne plus être sous le coup de la procédure de déficit excessif » (Ndlr : respirez, et relisez la phrase !). En clair, cela veut bien dire qu’il faut non seulement réduire son endettement, mais le réduire à un rythme soutenu de 1/20ème par an. Imaginez un pays comme la France, qui va terminer l’année 2014 à une dette de 100% du PIB (car la dette continue toujours à augmenter, quoique moins vite…). Il devra réduire sa différence de 40% (100 % – 60 %) de 1/20ème par an. Que voilà un rythme de désendettement soutenu !… Raison de plus alors, pour relancer massivement nos économies européennes afin de mieux « digérer » le désendettement.

Malheureusement, on ne peut ignorer le fait que les élections européennes du 25 mai 2014 ont envoyé quelques signaux négatifs avec une forte percée nationaliste dans cinq pays.

Espérons que cela ne retardera pas encore un peu plus les orientations fédératrices indispensables, qui exigent du courage politique et beaucoup de pédagogie, qui font tant défaut à cette génération de politiciens. Gare aux tentations de céder aux Britanniques (de UKIP), aux Néerlandais ou aux Finlandais, qui prônent plus de libéralisme et moins de fédéralisme. Espérons que Jean-Claude Juncker trouvera le bon cap. Car il y a longtemps que la Commission n’a plus eu de « grand » président, sachant tenir tête aux représentants d’Etats jaloux de leurs prérogatives et de leurs intérêts nationaux égoïstes, et défenseurs de toujours plus d’intergouvernementalisme. Les premières déclarations de Juncker sur les garde-fous européens pour le futur Traité transatlantique UE / USA sont, à cet égard, rassurants par rapport à son prédécesseur. Mais il nous faudra juger sur les actes. Je vous en parlerai une autre fois.