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Brexit, vraie-fausse sortie…

Les autorités britanniques mesurent chaque jour davantage la difficulté d’assumer une décision démocratique…Hard Brexit ? Soft Brexit ? Vraie-fausse sortie de l’UE ? Le gouvernement de Sa Majesté, profondément divisé sur la suite à donner au vote du 23 juin, continue de « jouer  la montre » face à l’extrême complexité de cette affaire et découvre les multiples conséquences sur le plan économique et financier. Ambiance…

On n’a pas fini de parler du Brexit, depuis le référendum du 23 juin 2016. Les conséquences, à long terme, du Brexit seront autant politiques qu’économiques.

L’actualité de ce début du mois d’octobre donne quelques indications, même faibles, sur le futur agenda.

 Du côté britannique, c’est le discours du Premier Ministre Theresa May, lors du congrès des conservateurs à Birmingham qui a donné le ton.

 Theresa May a, en effet, annoncé que l’article 50 du Traité de Lisbonne, qui prévoit la possibilité de retrait d’un pays de l’Union européenne, sera actionné avant fin mars 2017. Si la date est respectée, et surtout, si le délai de deux ans de négociations, tel que le prévoit le paragraphe 2 de ce même article est dûment respecté (ce qui va, quand même, être assez dur à faire), cette question du Brexit devrait être finalisée avant les élections législatives européennes de juin 2019, ce qui empêchera le paradoxe de faire élire des eurodéputés par des électeurs britanniques adeptes du leave.

 « Back the control »

Theresa May a surtout, lors de ce congrès, repris une position eurosceptique, qu’elle avait mis légèrement en sourdine pendant la campagne référendaire, par fidélité au gouvernement de David Cameron. Et elle a fait sienne le slogan « back to control », qui appelle au retour à la souveraineté et à l’indépendance pour le Royaume-Uni.

 Elle a aussi annoncé une « loi d’abrogation » qui serait la 1ère étape de la séparation, mettant fin à l’automaticité de l’incorporation des directives et règlements européens dans la législation britannique.

 Elle a opté pour la solution la plus simple. Toutes les dispositions européennes, transposées en droit anglais, seront maintenues, jusqu’au retrait, et deviendront des lois anglaises.

 Cela évitera aux juristes d’avoir à réécrire tous les codes. Mais cela signifie aussi que la coloration britannique restera très « bleue » et européenne. C’est presque un gag, mais cela montre que le Royaume-Uni manque de juristes et d’experts (de leur propre aveu !) pour « détricoter » 43 ans de textes juridiques européens (80 000 textes et contrats). Il leur faudrait plusieurs années ! De toute façon, ils ont prévu de solliciter les services – coûteux – de prestigieux cabinets de conseils et d’avocats.

 Michel Barnier, la bête noire…

Du côté de la Commission européenne, le ton est plus conciliant.

 Le 1er octobre est la date de la prise de fonction de Michel Barnier, en tant que négociateur en chef de la Commission, chargé de préparer le Brexit et de conduire les négociations avec le Royaume-Uni. Michel Barnier a été, dans la précédente Commission Barroso, commissaire européen au marché intérieur. Ce choix est loin d’être anodin. Certes Michel Barnier est un européen convaincu, expert des questions économiques européennes, et fin connaisseur des rouages de la politique.

 Mais il est aussi connu, pour les Britanniques, pour celui qui s’est opposé à la City lors de la question de la régulation financière avec l’Union bancaire européenne dont il est l’artisan. Pour son homologue anglais, David Davies, le monsieur Brexit du gouvernement de Theresa May, il est une bête noire. Il l’est également pour la City, et pour certains journaux britanniques qui l’ont qualifié d’ « Homme le plus dangereux d’Europe » !

 Et pour bien montrer que la question du marché intérieur est une question centrale de ce Brexit, a été nommée comme négociateur en chef adjointe, Sabine Weyand, de nationalité allemande, et ancienne directrice de la DG Commerce.

 Toutefois, du côté européen, on essaie de calmer le jeu. Ainsi, le letton Valdis Dombrovskis, vice-président de la Commission, et commissaire européen à la stabilité, aux services financiers et à l’Union du marché des capitaux, a déclaré que « l’intérêt de l’UE est de garder de bonnes relations avec le Royaume-Uni », tout en rappelant fermement que « le maintien dans le marché unique est à une condition : en respecter les règles (NdlR : accepter la libre circulation intracommunautaire des travailleurs).

 C’est un choix stratégique désormais du ressort du Royaume-Uni ». Lors du discours sur l’Etat de l’Union du Président Juncker, comme lors du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement à Bratislava, les 27 ont affiché de la fermeté vis-à-vis du Royaume-Uni, sans fermer les portes. Michel Barnier lui-même a indiqué qu’il faudrait des négociations « gagnant-gagnant ».

 Quels sont dès lors les scénarios possibles ? Un Hard Brexit (prôné par les plus revendicatifs des partisans du leave) et un soft Brexit (qui aurait plus la faveur du Labour). Mais les lignes de partage ne sont pas aussi nettes que cela.

 Hard Brexit…

Le Hard Brexit équivaut à une séparation nette entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, qui deviendrait dès lors, un « pays tiers » ou étranger. Aucune loi européenne ne s’y appliquerait. Le Royaume-Uni renoncerait de facto au marché unique. Ses entreprises ne seraient plus traitées à égalité avec les entreprises européennes. Mais aussi, le Royaume-Uni renoncerait à l’union douanière.

 …ou Soft Brexit

Le soft Brexit équivaudrait au modèle norvégien. En effet, ce pays, non-membre de l’Union européenne, a accès au marché unique, mais conserve sa souveraineté en matière de politique monétaire (même si la Banque centrale norvégienne s’aligne régulièrement sur la politique de la BCE), de politique d’agriculture, de pêche, de politique étrangère, de justice, etc… La Norvège appartient à l’Espace Economique Européen, comme l’Islande et le Liechtenstein. Les membres de l’EEE doivent respecter la législation de l’UE concernant le marché unique, et en particulier les 4 libertés de circulation (des hommes, des biens, des capitaux et des services).

 Les Britanniques suivront-ils ce modèle, alors que l’on sait qu’ils s’opposent farouchement à la libre-circulation des travailleurs d’Europe de l’Est (des travailleurs européens, pas des migrants ou des réfugiés !), et qu’ils ont mené campagne sur le thème de « l’argent indûment versé à Bruxelles ».

Et puis, pour pouvoir intégrer l’EEE, il faut l’unanimité des Etats membres de cet espace. Et la ministre norvégienne des affaires européennes, Elisabeth Vik Aspaker, a déclaré, cet été : « il n’est pas acquis qu’il soit positif de laisser entrer un grand pays dans cette organisation. Car cela déplacerait le point d’équilibre, ce qui n’est pas dans les intérêts de la Norvège ».

 Rappelons, au passage que le Royaume-Uni a une population de 64 millions d’habitants, et que la Norvège + l’Islande + le Liechtenstein, c’est 5, 44 millions d’habitants seulement.

Il va donc falloir inventer un nouveau modèle « spécial Royaume-Uni » qui permettrait à ce pays d’être dehors tout en étant un peu dedans, mais d’être dedans en acceptant toute la réglementation du marché unique, sans trop le dire aux électeurs britanniques.

 Cela risque d’être la quadrature du cercle.

 Je souhaite bien du plaisir au gouvernement May, qui risque vite d’être accusé de « trahison » par les ultras, comme chez nous par certains qui crient à la « trahison » du peuple après le vote du « Non » à la Constitution européenne en mai 2015….

 Là où ça coince…

D’un point de vue concret, apparaissent déjà deux points d’achoppement.

 Pour les entreprises, et les multinationales, rien de pire que l’incertitude économique et politique.

 Ainsi, Carlos Ghosn, le patron de Renault-Nissan, qui possède à Sunderland (nord-est de l’Angleterre) la plus grosse usine automobile du pays (6.700 employés), vient d’annoncer qu’il gelait ses investissements jusqu’à ce que soient clarifiées les futures relations avec l’UE.

 Le groupe Airbus, premier avionneur européen, refuse encore de se prononcer sur le cas des usines du groupe établies sur le sol britannique.

 Le Brexit inquiète donc tout le monde économique. Le monde financier aussi. Toutes les grandes banques de la City, comme Morgan Stanley, HSBC s’étaient opposées au Brexit. HSBC a déjà annoncé qu’elle relocaliserait un millier d’emplois en zone euro. Le malheur des uns… Easyjet a annoncé aussi qu’il réfléchissait à se délocaliser en Irlande ou au Luxembourg, deux pays qui pratiquent le dumping fiscal.

 L’Oréal a mis fin aux négociations en cours de déménagement de son siège dans de nouveaux locaux à Londres. L’assureur suisse GAM a lui aussi repoussé son projet d’emménager au cœur de la City.

 Le risque est très fort, d’ailleurs, pour l’avenir même de la City, la première place financière européenne. Car bien que hors zone euro, la City commerce à plus de 30 % en euros. Il y aura donc des transferts d’opérations et de transactions vers la place financière de Francfort et dans une moindre mesure vers celle de Paris.

 Du coup, le Royaume-Uni pourrait perdre sa place de 5ème puissance économique mondiale et repasser derrière la France.

Une Agence très convoitée

 On pourrait rajouter, dans un autre modèle, l’exemple du départ de l’Agence européenne des médicaments (EMA), basée à Londres depuis 1995, et qui devra être relocalisée à la suite du Brexit.

 Cette Agence très importante, qui emploie près de 900 salariés, est déjà convoitée par plusieurs grandes villes, comme Lyon, Lille, Strasbourg, Milan, Barcelone ou Bonn.

 Le véritable enjeu est aussi celui des « passeports européens ».

 Ce passeport permet à des institutions financières étrangères, installées dans un pays membre de l’union européenne, une fois obtenu un agrément de l’autorité locale de marché, de proposer ses services financiers dans tout autre Etat membre de l’Union européenne. Un véritable sésame.

 Les principales banques américaines, suisses et japonaises ont fait le choix de s’installer à Londres. Mais le Brexit va entrainer, de facto, la fin de ce passeport, et la nécessité pour ces entreprises, soit de renoncer au marché européen (impensable), soit de se repositionner sur une autre place financière (Francfort, Paris, Amsterdam…). 8.000 entreprises seraient concernées par ce passeport, dont 2.800 dans le secteur de l’assurance et 2.300 sociétés de gestion financière.

 Humiliation suprême : les agences de notation Fitch’s et Standard and Poors ont déjà baissé la note de la dette britannique de AAA à AA.

 S’il sort vraiment du marché unique, le Royaume-Uni va perdre aussi des parts de marché en UE.

 Les entreprises devront subir des tarifs douaniers et des contrôles aux douanes, ou se délocaliser dans un Etat membre de l’UE. Prenons un exemple concret (parmi des milliers du même genre !) : en UE, les Etats membres bénéficient du « ciel ouvert » pour leurs compagnies aériennes.

 Très concrètement, cela signifie que Londres pourrait avoir 11 lignes quotidiennes avec Athènes librement, puisque la relation commerciale se passe entre 2 pays membres de l’UE.

 La question des droits de trafic

Désormais, la capitale anglaise devra négocier avec Athènes des « droits de trafic », au cas par cas. Elle ne sera plus prioritaire, sa demande sera traitée au même titre que celle du Maroc ou du Venezuela. Eh oui, l’UE, ça donne des droits et des avantages pour ses membres. Dans énormément de domaines.

 Pas sûr que les politiciens pro-Brexit aient expliqué tout cela à leurs électeurs, durant la campagne du référendum.

 Le Brexit, ce ne sera pas « la fin du monde » pour le Royaume-Uni ou l’UE sur le plan économique et financier, mais, franchement, le bilan sera coûteux pour nos amis britanniques.

 Et c’est bien la raison pour laquelle ils « jouent la montre à fond ».

Après le vote, ils avançaient qu’ils actionneraient l’article 50 du Traité de Lisbonne le 1er janvier 2017. Désormais, ce sera en mars 2017. Soit 9 mois après le vote. Et je prends le pari que ce délai sera encore repoussé !