De la meilleure manière de perdre son industrie…
Nous sommes tous passés devant ce site industriel impressionnant en allant dans les stations alpines de la Maurienne ou en se rendant en Italie par le tunnel du Fréjus. Il s’agit d’une usine interminable de près d’un kilomètre de long, située à Saint-Jean-de-Maurienne en Savoie : l’ancienne usine Péchiney devenue Alcan, puis Rio Tinto.
Or cette entreprise, l’une des deux dernières à produire de l’aluminium en France pourrait bien fermer définitivement ses portes.
L’histoire qui explique le sort funeste qui pourrait être réservé à cette entreprise est l’illustration jusqu’à la caricature de l’absence d’une vision, d’une stratégie industrielle dans notre pays. Que nous avons payé avec ce chiffre affolant : la disparition en dix ans de près de 500 000 emplois industriels.
C’est d’autant plus rageant que la France est à l’origine de l’industrie de l’aluminium. Les Baux-de-Provence où le minerai a été découvert a donné son nom à la bauxite. C’est dans le Gard que celle-ci fut pour la première fois au monde utilisée industriellement. C’est encore un Français qui a inventé le procédé de l’électrolyse qui permet de transformer de l’alumine en aluminium.
Pendant longtemps la recherche française a été à la pointe dans ce domaine. Les trois quarts des cuves à électrolyse à travers le monde étaient signées Pechiney.
Puis, un beau jour de 2003, les sphères dirigeantes, l’Etat français, a laissé filer, suite à une OPA qui aurait pu être évitée, ce fleuron racheté alors par l’Américain Alcan, lui-même repris un peu plus tard par le méga-groupe anglo-australien Rio Tinto. Des entreprises plus proches du capitalisme financier que du modèle Rhénan patrimonial…
Ce qui devait arriver était écrit. L’ex-Pechiney a été peu à peu démantelé. Les effectifs étaient de 23 000 salariés. Ils sont tombés à 3 000. Toute la construction patiente de Jean Gandois, l’ancien patron de Pechiney est partie aux quatre vents : l’emballage a été vendu à l’Australien Amcor, la division produits usines pour l’aéronautique et l’automobile a été reprise par le Fonds d’investissement américain Apollo, etc.
Il ne reste plus que l’usine historique de Saint-Jean-de-Maurienne, soit 2 200 emplois directs et indirects, le « cœur » de l’ex-Pechiney depuis l’origine de l’entreprise, la seule avec Dunkerque a fabriquer encore de l’aluminium en France.
Une unité qui constitue une accumulation de savoir-faire avec sa centaine de cuves d’électrolyse, sa fonderie et son centre de recherche resté particulièrement performant. Tout cela pourrait diparaître, s’envoler vers d’autres cieux, plongeant au passage la vallée de la Maurienne dans un profond marasme.
Rio Tinto envisage de vendre, ou sinon de fermer, ce qui provoque un grand émoi dans la vallée. Le groupe anglo-australien est engagé dans un bras de fer avec EDF qui lui fournit l’électricité dont l’usine est une très grande consommatrice, l’électrolyse en est très gourmande.
L’usine bénéficiait d’un tarif très favorable suite à un contrat signé sur le long terme qui s’achève en 2013. Le prix du mégawatt pourrait alors passer de 18 euros à 30 euros. Trop cher pour Rio Tinto qui s’appuie sur cette hausse pour menacer d’une délocalisation vers d’autres cieux.
Si Saint-Jean-de-Maurienne disparaît, Dunkerque disparaîtra aussi et la France deviendra alors totalement dépendante de l’étranger pour nourrir une industrie de plus en plus consommatrice d’aluminium : pour l’automobile, pour l’aéronautique…avec une nouvelle dégringolade de notre balance du commerce extérieur en perspectivce.
Les élus de la vallée se battent comme de beaux diables pour maintenir cette usine. Le prochain gouvernement quel qu’il soit devrait prendre le dossier à bras le corps. Mais on se rend compte là que la chaîne inéluctable s’est enclenchée le jour où on a laissé partir ce fleuron de notre industrie.
Il aurait fallu, bien avant que le « produire français » devienne-bien tardivement-un thème de campagne électorale, que l’on sache faire des choix; bref, que l’on se dote d’une vision et d’une politique industrielle. Et s’y tenir. Trop tard ?