L’ambition pharaonique d’Euronews
Jeudi, au nouveau siège d’Euronews. « Nous voulons doubler notre chiffre d’affaires » lance Michael Peters, le patron de la chaîne européenne d’information, en regardant avec un sourire en coin son nouvel actionnaire majoritaire.
Mais d’ajouter peu après qu’il s’agissait bien sûr d’une plaisanterie et qu’il voulait simplement illustrer par là l’ambition de la chaîne basée à Lyon. Une sortie faite par le sémillant patron d’Euronews, lors de la conférence de presse précédant jeudi 16 octobre de quelques heures l’inauguration à laquelle …deux mille personnes étaient conviées.
Au cours de cette inauguration où Gérard Collomb voisinait avec Jean-Jack Queyranne ou Jean-Michel Aulas, n’ayant pas peur de l’emphase, le patron d’Euronews lance à nouveau devant un maire de Lyon aux anges : que sa ville était devenue, «la nouvelle capitale incontournable de l’info, comme Londres, Doha ou Atlanta. » Rien que ça !
10 000 m2
Cela a été répété sur tous les tons au cours de cette journée qui se voulait fondatrice : le nouveau siège de la chaîne européenne d’information, présente à Lyon depuis sa création, est censé illustrer le renouveau de la chaîne.
Et il est vrai que le cube vert pomme de six étages (10 000 m2) créé par le prestigieux cabinet d’architectes Jakob + MacFarlane à Lyon-Confluence ne manque pas d’allure.
On aime ou on aime pas, mais difficile de dire qu’avec ses deux immenses cônes intérieur, sa couleur qui tranche avec le verre et le métal des deux immeubles qui l’encadrent, ce cube percé de trous passe inaperçu.
Un cube par ailleurs très cher au regard du chiffre d’affaires de la chaîne qui s’établit à 75 millions d’euros.
Entre la construction du bâtiment et les investissements technologiques nécessaires, le chantier a coûté près de 50 millions d’euros : 30 pour le premier (*), 20 pour les second.
D’où une autre image forte lancé par Michael Peters lors de l’inauguration : « Ce nouveau siège, c’est notre pyramide à nous ! ».
Une fortune de 2,9 milliards de dollars
Il faisait bien sûr référence au nouvel actionnaire majoritaire de la chaîne : le milliardaire égyptien Naguib Sawiris dont la fortune est estimée à 2,9 milliards de dollars par le magazine Forbes.
Après avoir injecté dans la chaîne 35 millions d’euros, il a pris 53 % du capital, devenant le patron incontestable de la chaîne aux côtés des vingt-quatre télévisions de service public qui constituent le reste de l’actionnariat.
Un conseil éditorial puissant
Il a le pouvoir économique au sein de la chaîne, mais pas du tout le pouvoir éditorial.
Bruxelles qui donne tout de même à la chaîne 25 millions d’euros de subventions par an, ainsi que les chaînes publiques européennes à l’origine de la création d’Euronews, avaient mis une forte condition pour qu’Euronews devienne véritablement privée : que soit mis en place un conseil éditorial où elles continueraient à avoir le pouvoir éditorial et conserveraient une indépendance évidemment indispensable à sa crédibilité.
Naguib Sawiris n’a qu’un strapontin au sein de ce conseil éditorial présidé par Paolo Garimberti, un ancien patron italien de la chaîne publique italienne Rai et journaliste très sourcilleux sur l’indépendance des journalistes.
De toute façon, Nagujib Sawiris le clame, il n’a pas acheté Euronews pour s’en servir pour des raisons politiques.
Il est égyptien copte, donc chrétien. Et l’on sait que les coptes sont en butte à des difficultés en Egypte. Ce n’est donc pas un adepte, loin s’en faut, de l’islam ou du fondamentalisme islamique.
Il assure lorsque l’on discute avec lui, qu’il est là pour une seule et unique raison : gagner de l’argent.
Alors, comment, lui et Michael Peters vont-ils faire pour développer une chaîne qui vit pour une part de subvention et perd encore 10 millions d’euros par mois ?
Les deux dirigeants de la chaîne, Naguib Sawiris et Michael Peters expliquent que le plan de développement est en cours de discussion avec le directoire et qu’il ne peut encore rien dévoiler.
Développement numérique et Afrique
Deux pistes s’offrent cependant à eux : le développement numérique et l’Afrique.
« Cette chaîne bénéficie d’une marque très forte et d’une audience très large, explique-Naguib Sawiris. Mais ce potentiel n’est pas assez exploité. Si l’on muscle le contenu, et que l’on investit massivement dans le développement numérique, on peut multiplier la valeur de l’entreprise par quatre. »
L’autre levier de développement est l’Afrique qui pour beaucoup d’observateurs est le continent qui connaîtra la plus forte croissance au cours du siècle. Ainsi Euronews est-elle en train de lancer Africanews, 1ère chaîne d’information multilingue africaine.
Emise d’abord en anglais et en français, puis dans d’autres langues du continent (portugais, arabe, swahili, etc.), Africanews ambitionne de devenir le premier média panafricain d’infos en continu. Elle aura son siège à Brazzaville et des bureaux régionaux à travers le continent. Elle partagera avec Euronews, la même charte éditoriale, garante d’indépendance.
Pour Michael Peters, « Cette synergie vise à donner à l’Afrique toute sa place dans le monde de l’information, et au monde toute l’actualité du continent. »
C’est aussi ce pari qui a aussi motivé l’Africain Naguib Sawiris pour investir dans la chaîne. Un continent entier à couvrir, l’ambition pharaonique d’Euronews est là, aussi.
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(*) Deux investisseurs ont accompagné Euronews qui n’est que co-propriétaire du bâtiment au côté de Voies Navigables de France (VNF) qui possède 40 % de la SCI « Pavillon Vert » qui détient l’immeuble et la Caisse des Dépôts (25 %).