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La chimie rhônalpine en danger

 L’anniversaire ne sera pas fêté dans la joie et la bonne humeur. La raffinerie de Feyzin, qui célèbre cette année ses cinquante années d’existence, est en perte de vitesse : elle a perdu 100 millions d’euros en 2013. Ce mauvais résultat inquiète ses dirigeants qui se posent tout bonnement la question de l’avenir du site.

 « Je ne peux pas être totalement confiant »

Ainsi, dans une interview au Progrès, Daniel Aussenac,le directeur de cette raffinerie appartenant à Total, n’y va pas par quatre chemins. « La pérennité du site passe par sa capacité à gagner de l’argent et à assurer sa rentabi­lité économique. Quand je vois la crise du raffinage, je ne peux pas être totalement confiant. Aucun site industriel ne peut résister très longtemps à des marges économiques insuffi­santes. » 

Il ne peut assurer que la raffinerie existera encore après 2016 et que ses 600 salariés qui raffinent près de 5 millions de tonnes de pétrole brut par an, auront encore un emploi après cette date.

Ceci pour la pétrochimie. La filière vinylique française est, elle, aussi traversée par une crise, comme en a témoigné l’épisode non encore terminé de la société Kem One dont le siège est basé dans la vallée de la chimie à Lyon.

La cession des activités aval n’est pas encore bouclée. Or, sans elles, la viabilité du groupe repris, après dépôt de bilan, à la barre du tribunal de commerce, par l’industriel Alain de Krassny, n’est pas assurée. En balance, a minima les 1 300 emplois de l’activité amont du groupe…

Sagit-il là de signes avant-coureurs d’une crise plus grave qui couve et qui pourrait s’élargir ?

Dans un courrier qui a fait l’effet d’une bombe et envoyé à José Manuel Barroso, le président de la Communauté Européenne, Jim Ratcliffe, patron de la société chimique européenne Ineos lance un cri d’alarme : « Avec tristesse, je vous prédis que la plupart des usines chimiques européennes vont fermer d’ici dix ans »… Et ce libéral pur jus n’est pourtant pas du genre à quémander des subventions auprès des pouvoirs publics…

Une des principales raisons qu’il met en avant : pour la chimie de base, très dépendante des matières premières, l’Europe, concurrencée par les pays émergents, est devenue la zone la moins compétitive du monde, alors même que ses propres marchés sont stagnants.

Tandis que l’Europe voit le prix de son énergie grimper régulièrement, l’Asie bénéficie de sa croissance, le Moyen-Orient de son pétrole et les Etats-Unis de son gaz de schiste.

Il y a treize ans, l’Europe comptait dix-sept grands groupes chimiques. Ils ne sont plus que huit : depuis, neuf d’entre eux ont disparu !

Rhône-Alpes en première ligne ?

Or si cette crise annoncée a lieu, Rhône-Alpes, première région chimique de France, serait en première ligne.

La chimie rhônalpine emploie près de 30 000 salariés : elle pèse 12 des 90 milliards d’euros de chiffre d’affaires que représente la chimie française.

 Au sein de l’Union des Industries Chimiques (UIC) de Rhône-Alpes, on partage cette inquiétude. « Mais attention-précise Jean-Louis Martin qui en est le président-la crainte porte d’abord et avant tout, sur la chimie de base, celle située en amont. »

 Il poursuit : « Comme l’explique bien Jim Ratcliffe, elle cumule trois handicaps  : le coût de l’énergie qui ne cesse d’augmenter, une difficulté d’accès aux grandes matières premières et une réglementation de plus en plus contraignante et que l’on ne retrouve pas dans les pays émergents. »

 Il ajoute : « Il faut bien le constater, l’équilibre sur lequel s’appuyait la chimie de base est en train de se rompre et c’est effectivement inquiétant. Nous avons déjà alerté les pouvoirs publics qui en ont au moins conscience au niveau régional… »

 On pourrait penser que la chimie de spécialités, à forte valeur ajoutée, très présente en Rhône-Alpes et la nouvelle chimie durable et d’innovation qui est en train de voir le jour dans la vallée de la chimie lyonnaise, notamment, permettrait de transférer à terme les emplois de l’amont, vers l’aval.

 « Tout est imbriqué »

 « Pas si simple, tranche Jean-Louis Martin, également Pdg du chimiste Novacap. Tout est imbriqué. L’aval a besoin des matières premières de l’amont. Les produire sur place est source de compétitivité. Elles reviennent cher à transporter. Il faut, pour pouvoir pérenniser la chimie rhônalpine, l’appréhender en terme de filière sur toute la chaîne : de l’amont jusqu’à l’aval. »

 Pour sauver la chimie de base, Jim Ratcliffe enjoint José-Manuel Barroso « à prendre des mesures d’urgence ».

 Alors, la chimie rhônalpine va-t-elle suivre le même sort qui fut dans le passé, celui du textile ?

 Le risque existe bien sûr et il n’est pas mince. Le virage de la chimie verte a été pris en Rhône-Alpes, à travers notamment le pôle de compétitivité Axelera Chimie-Environnement, mais il faudra sans doute plusieurs décennies pour que celle-ci pèse bon poids et serve de moteur.

 Jim Ratcliffe a raison : il faut qu’une prise de conscience s’opère de l ‘Europe, aux niveaux nationaux et régionaux pour que l’équilibre qui permet à la chimie de base de survivre soit rétabli. Il y a urgence. Sinon…