Pourquoi les chefs d’entreprises « faillis » n’auraient-ils pas droit à une seconde chance ?
Guillaume Bourdon avait créé, avec deux associés, son agence de design à sa sortie des Beaux Arts de Lyon, avec toute la fougue de sa jeunesse. Quinze ans plus tard, la croissance à deux chiffres trop rapide de l’agence nécessite l’injection de capitaux. Pour une d’histoire d’ego, un des deux associés, non seulement refuse de remettre au pot, mais aussi bloque toute solution financière, ce qui amène tout droit la société au dépôt de bilan. Il y a un an de cela. Il y a un an. « J’étais gérant, j’avais engagé ma caution personnelle. Ce qui s’ensuivit, ce fut pour ma pomme ! », se remémore-t-il, l’air sombre.
Depuis ce coup dur, ce chef d’entreprise remonte peu à peu la pente et est en train de se relancer en libéral. « Lorsqu’on dépose le bilan, on se sent abandonné. J’ai connu un passage à vide. Heureusement j’étais bien entouré, ça m’a beaucoup aidé. »
Guillaume Bourdon n’a aucune peine à raconter son histoire. Il le fait même volontiers. Il est l’un des animateurs d’une association qui s’est créée il y a peu à Lyon : « Seconde Chance » « J’essaie de faire partager cette expérience, qu’elle profite à d’autres », explique-t-il.
« Rebondir après un échec entrepreneurial »
Créée à Paris d’abord, puis en Rhône-Alpes et à Lyon, « Second Souffle », cette nouvelle association dont l’intitulé exprime sa vocation : « rebondir après un échec entrepreneurial », veut « valoriser les compétences de ces chefs d’entreprises qui ont pu tout perdre, y compris l’estime de soi, et les aider à reprendre confiance en vue de recréer ou de retrouver un emploi. »
Ils sont un peu plus d’une quinzaine à Lyon à se constituer ainsi en réseau, pour s’entraider et repartir de l’avant.
Un des projets de « Second Souffle » : la création d’un fonds de soutien pour aider à la recréation d’entreprise. « Qui mieux qu’un entrepreneur pour re-entreprendre ! », s’interroge le président national de « Second Souffle », Dimitri Pivot.
L’indicateur « 040 » : 150 000 patrons concernés
Jusqu’à présent, c’était très difficile, car ces chefs d’entreprise concernés par un dépôt de bilan au cours des trois dernières années étaient stigmatisés par… l’indicateur « 040 ».
Il s’agit d’une sorte de fichage émanant de la Banque de France, auquel avaient accès les banques. On imagine bien aisément qu’avec un tel affichage, lesdits chefs d’entreprise n’avaient plus aucune chance d’obtenir un quelconque crédit bancaire et de se relancer comme chef d’entreprise.
Bientôt fini ce fichage ? La ministre déléguée aux PME a annoncé qu’elle allait faire, sans jeu de mot, une fleur aux 150 000 patrons concernés par cet indicateur « 040 » en le faisant disparaître. Un projet, car cette annonce ne s’est pas encore concrètement réalisée pour l’heure..
« En ayant une seconde chance, ces patrons pourront réinvestir et donc créer de l’emploi », explique ainsi Fleur Pellerin.
Il faut savoir que la France est le seul pays au monde à avoir instauré cette forme de stigmatisation.
Un autre état d’esprit aux Etats-Unis
Aux Etats-Unis, on estime au contraire que le fait d’avoir connu un échec, s’il est bien sûr non frauduleux, est quelque part plutôt positif. On ne fera pas deux fois la même erreur, estime, à juste titre la communauté entrepreneuriale américaine. Elle considère, là encore, qu’un chef d’entreprise qui recrée une entreprise après un échec est deux fois plus motivé qu’un autre. On lui fait donc confiance.
Cette façon de voir les choses en France n’est-elle pas l’illustration d’un état d’esprit plus général et d’un mode de sélection des élites. Notre système scolaire et de grandes écoles ne fonde-t-il la réussite de quelques-uns sur l’échec des autres ?
Nous expliquions dans notre dernier édito que Patrick Molle, l’ancien directeur d’EM Lyon assure que « Le modèle classique des business schools est à bout de souffle. » Et ce dernier d’ajouter : « Ce système auto-reproducteur formant des élites à la pensée étroite, je ne veux pas le détruire, mais le faire évoluer. » Pour lui, les managers de demain devront d’abord être enthousiastes, créatifs et malins et non pas des profils ultrascolaires.
Dans sa nouvelle école, FBS, Patrick Molle ne procède plus son recrutement sur l’écrit, ce qui est une révolution, mais sur une épreuve de groupe, afin de répondre à cette question : « comment le candidat se comporte-t-il avec les autres ? » et un long entretien. Là aussi, les lignes bougent.