Travail du dimanche : c’est long et compliqué, mais oui, on peut réformer en France…
Depuis le 26 mars, vingt-et-un magasins de la Fnac sont ouverts le dimanche. Enoncée ainsi cette information paraîtrait presque anecdotique dans n’importe quel autre pays, mais pas en France.
Issue de la loi Macron, cette possibilité offerte est dans la plupart des entreprises, à commencer par la Fnac, le fruit de longs mois de bagarres et de négociations.
La Fnac vient donc de rejoindre la longue liste des entreprises où l’intelligence et l’intérêt collectif ont pu triompher et où direction et syndicats sont finalement parvenus à un accord sur le travail dominical.
La plupart des grandes enseignes ont pu ainsi l’appliquer : la Fnac, donc ; mais aussi Darty, les grands magasins parisiens, les principales enseignes d’habillement comme Zara, les boutiques de luxe.
En ce qui concerne la Fnac, le projet de la direction a obtenu la majorité nécessaire (plus de 50 %) pour être appliqué. La CFDT a approuvé le texte, comme l’ont fait la CFE-CGC et la CFTC.
Il faut rappeler la genèse de cette réforme qui nous éclaire sur la boîte à outils actuelle d’où est issu le programme du candidat Macron.
On l’a oublié, mais c’est lui qui a rédigé le rapport Attali commandé par Nicolas Sarkozy et qui avait permis à l’époque de constituer l’un des plus compétents think tank jamais mis sur pied, avec une cohorte d’économistes, de syndicalistes, de sociologues, de représentants de la société civile qui se sont penchés pendant des mois sur toutes les mesures aptes à débloquer la France. Des nombreuses mesures préconisées, peu ont été appliquées, mais l’ouverture des magasins du dimanche figure parmi celles qui ont surnagé.
Souvenez-vous, lors de l’adoption de la loi, nombreux étaient ceux qui poussaient des cris d’orfraie, accusant le ministre de l’économie de l’époque de faire le jeu des syndicats.
Il faut bien reconnaître que la bataille ne fut pas des plus faciles.
Une longue guérilla
Elle fut d’abord particulièrement chaude avec les syndicats opposés d’emblée à cette mesure, à commencer par la CGT et FO, qui ont mené une longue guérilla.
C’est indubitablement la CFDT, syndicat réformiste, qui a permis de débloquer le problème.
Mais il a fallu du temps. La Fnac a lancé une première négociation en octobre 2015, juste après la promulgation de la loi Macron.
Un premier accord a été trouvé début 2016, mais il a subi le veto de la CGT, SUD et FO, alors majoritaires au sein de l’entreprise.
De nouvelles discussions ont été ouvertes en janvier dernier, après de nouvelles élections professionnelles qui ont vu FO passer sous la barre des 10 % et perdre sa représentativité. Une perte de représentativité significative qui constitue d’ailleurs un signal fort.
Des avancées pécuniaires
Les trois syndicats favorables à l’ouverture dominicale, la CFDT, la CGC (cadres) et la CFTC étant devenus majoritaires, l’accord a enfin pu être signé. Il est vrai aussi que de son côté, Alexandre Bompard, le Pdg de la Fnac, s’était fortement impliqué, descendant dans l’arène pour convaincre ses troupes sur l’importance que revêtait le travail dominical pour l’entreprise.
Il a aussi accompagné les discussions d’avancées pécuniaires : ainsi à la Fnac, les douze premiers dimanches sont payés triple et les suivants, double.
Première constatation : l’impact sur l’emploi est réel, même si on est loin des 20 000 postes évoqués à l’origine. Aux Galeries Lafayette et au BHV, le gain est ainsi estimé à près de 1 500 salariés. Il atteint une centaine à la Fnac dans les neuf magasins parisiens d’abord concernés.
Une manière de lutter contre le e.commerce
« Ce que veulent les gens, c’est du pouvoir d’achat. Il y a beaucoup de travailleurs pauvres », expliquait aux « Echos » en mai 2016 François Le Menuet, délégué syndical SUD Solidaires, signataire de l’accord du BHV, bien que… désavoué par sa centrale.
Il faut aussi replacer cette bataille gagnée du travail du dimanche dans le cadre plus large de l’évolution du commerce en France où le e.commerce bénéficie d’une part de marché grandissante.
Comment lutter contre ces magasins en ligne, ouverts sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre si l’on est soi-même fermé le dimanche, le jour où justement le client a tout le temps de taper sur le clavier de son ordinateur et se casse le nez sur les vitres des magasins fermés ?
Au bilan le travail du dimanche s’est révélé créateur de richesses supplémentaires. Ainsi, par exemple, les Galeries Lafayette tablent sur 5 à 8 % de ventes additionnelles cette année.
Un verrou a ainsi sauté. Preuve qu’avec de la persuasion et une négociation fut-elle musclée se déroulant au niveau de l’entreprise, des réformes peuvent être mises en œuvre.
Pas grand chose, certes que ce travail du dimanche, par rapport aux réformes qu’il faudrait mettre en œuvre pour remettre l’Hexagone sur les bons rails. Mais cet épisode montre que le volontarisme, l’intelligence et l’intérêt collectifs peuvent finir par l’emporter…
De bon augure pour l’après élection présidentielle ? Ce serait aller vite en besogne, vu le niveau de la campagne électorale, mais on ne va pas tout-de-même pas déjà commencer à désespérer de l’avenir…