Toute l’actualité Lyon Entreprises

Depuis 2001, une tendance au rapprochement de plusieurs des branches des nouvelles technologies de l’information et de la communication se dessine au travers du concept de convergence entre les différents flux de données (voix, données, ondes) et, par conséquent, entre les produits qui les utilisent (téléphone, ordinateur, médias TV ou radio). L’une des applications de ce concept de convergence, la plus directe et la plus prometteuse, réside dans l’apparition de smartphones qui combinent les fonctions de téléphone et de mini-ordinateur (PDA), avec en sus l’intégration d’appareils photos numériques, de radios voire de télévisions. La transformation technologique et fonctionnelle du produit « téléphone mobile » et le marché qui s’ouvre à ce type de combiné attire, bien évidemment, la convoitise des firmes installées dans le secteur des télécoms (Nokia, Ericsson, Siemens, Samsung, Motorola…). Mais l’intégration, dans ces produits, d’un nouveau composant, en l’occurrence un système d’exploitation, a également développé le désir de certaines firmes comme Microsoft et Palm, de pénétrer ce nouveau marché.

Toutefois, si Microsoft annonçait, en 2001, son intention d’investir largement dans ce secteur et d’imposer son système, baptisé Windows Mobile, les firmes fabricantes de téléphones mobiles l’avaient, cependant, déjà devancé en fondant, dès 1998, une firme conjointe destinée à développer un système d’exploitation standard et ouvert, appelé Symbian OS. Ce projet emmené, au départ, par Nokia, Ericsson, Psion et Motorola, est resté en relatif sommeil jusqu’en 2000. Seule Nokia participait activement à son développement. Toutefois, les deux dernières années ont vu s’accélérer les mouvements de coopération stratégique entre les firmes. Ainsi, même si Motorola s’est retirée du projet, ce dernier a, en revanche, enregistré l’arrivée de sociétés telles que Siemens, Sony et Samsung. Par ailleurs, le système Symbian OS est distribué, aujourd’hui, sous la forme de licences d’exploitation accordées, non seulement aux membres du consortium, mais également à Motorola, à Fujitsu, à Sendo, à Kenwood et récemment à Panasonic et à LG. La société Symbian se targue ainsi d’avoir pu délivrer une licence à « 85% des fabricants » du secteur (communiqué de la firme).

De son coté, le système Windows Mobile de Microsoft n’a trouvé de grâce qu’aux yeux de Motorola et de Samsung (qui suivent une stratégie de licence mixte) et des constructeurs entrants que Microsoft a introduit sur le marché (notamment HTC). La situation lui reste, cependant, favorable avec les opérateurs dont l’influence est moindre, mais avec qui elle possède plus d’accords.

A l’heure actuelle, que ce soit en nombre d’accords de coopération avec des équipementiers et des opérateurs réseau, ou en terme de parts de marché (au deuxième trimestre 2003, Symbian trustait 94% du marché contre 6% à Microsoft, selon Canalys.com Ltd), l’assaut de Microsoft semble avoir échoué. Symbian OS s’impose, dès lors, comme le standard des systèmes d’exploitation pour mobiles nouvelle génération.

Néanmoins, et même si la partie, sur cet énorme marché encore en devenir, est loin d’être finie, une première leçon de stratégie industrielle peut être tirée du comportement parallèle de Nokia, leader des firmes installées, et de Microsoft, entrant principal. Cette comparaison peut être rapprochée de la prise de pouvoir de Microsoft dans le secteur des PC, suite à la décision d’IBM d’externaliser la production des composants principaux.

Les deux marchés présentent en effet des caractéristiques similaires :

– dans les deux cas, différentes entreprises assurent la production de sous-ensembles d’un produit complexe, nécessitant une étroite compatibilité technique.

– Dans les deux cas, il existe des externalités de réseau qui favorise le système le plus répandu (le choix d’un système par un utilisateur augmente l’attractivité de ce même choix pour l’utilisateur suivant)

Ces caractéristiques communes expliquent l’importance, dans ces industries, de la notion de standards, conduisant à un accord, entre des entreprises présentes dans la production de divers sous-ensembles, autour d’une architecture commune du produit. Les standards sont censés garantir la compatibilité d’appareils équipés de composants différents, et assurer une plus grande concurrence entre les appareils de divers constructeurs.

Cependant, au sein de cette architecture standardisée, certains composants peuvent être qualifiés de key-component, en raison de leur complexité technologique mais aussi de leur importance fonctionnelle. Par conséquent, les firmes maîtrisant le sous-marché de ces composants sont en mesure d’imposer leur domination au marché tout entier. C’est bien cette stratégie qui a fait le succès de Microsoft (et ses ennuis judiciaires) dans le secteur des PC. En s’appuyant sur de nouveaux entrants au niveau des autres composants, qui ont ainsi cassé le monopole d’IBM sur ces segments, et en imposant en revanche Windows comme seul choix en terme de système d’exploitation, Microsoft a pu « exporter » sa domination sur un seul segment à l’ensemble du marché en profitant de sa position d’incontournable au sein d’un standard, celui du PC, lui-même devenu incontournable en raison des externalités de réseau évoqués.

C’est bien cette même stratégie que la firme de Redmond envisageait dans le secteur des smartphones : imposer son système d’exploitation, introduire des rivaux face aux constructeurs installés, en « couvant » de nouveaux entrants (tel que la firme coréenne HTC, productrice du premier smartphone équipé de Windows Mobile, « créature » de Microsoft), et ainsi prendre le contrôle de la chaîne de valeur de l’ensemble de l’industrie des téléphones mobiles.

Face à cette stratégie, la réponse de Nokia est exemplaire. La firme finlandaise, leader sur le marché, semblait posséder les compétences nécessaires à l’élaboration d’un système d’exploitation propre, et donc être capable d’engager la guerre des standards, avec en vue l’hégémonie totale sur le secteur des smartphones. Cependant, Nokia a préféré œuvré à la création de Symbian, standard ouvert et coopératif, et même porter à bout de bras le consortium lorsque l’implication des autres constructeurs était plutôt faible. Si ce choix d’un standard ouvert l’obligeait à renoncer à une domination totale, il la préservait, par contre, d’une prise de pouvoir de Microsoft sur le secteur, en lui assurant le soutien des autres constructeurs, partie prenante du projet. Il semble donc que Nokia ait préféré neutraliser la concurrence sur le segment du système d’exploitation afin d’au moins conserver ses potentialités de parts de marché, fondées sur ces compétences dans les autres sous-ensembles.

Ainsi, une rapide analyse de la bataille des smartphones semblent fournir quelques observations intéressantes :

– Les produits ont beau être « révolutionnaires » et l’économie « nouvelle », un coup d’œil dans le rétroviseur de l’histoire industrielle peut utilement informer des menaces stratégiques actuelles, ainsi que des réponses à y apporter.

– Rester le leader d’un marché peut parfois passer non par la guerre tout azimut mais par une habile stratégie de coopération avec ses rivaux.

– Comme le présente certains théoriciens de la stratégie d’entreprises, la concurrence ne se résume pas aux rivaux déjà existants mais englobent tous les acteurs susceptibles d’investir le marché, notamment en période d’évolution technologique d’un produit qui fait appel à des compétences nouvelles.

Il est à noter, cependant, que l’augmentation récente, de la part de Nokia, dans le capital de Symbian, a crée quelques inquiétudes au sein des partenaires du projet (Siemens notamment), conduisant à une bien belle ironie de l’histoire. Certains constructeurs envisageraient, par peur d’une domination de Nokia façon Microsoft, de délaisser Symbian au profit de partenaires moins hégémoniques…Windows mobile notamment ! Nul doute que le nouveau costume de « sauveur de la concurrence », endossé par Microsoft, fera doucement sourire, à Bruxelles, les troupes de Mario Monti.