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« Nous voulons développer la co-localisation entre les entreprises tunisiennes et rhônalpines »

A l’origine du printemps arabe, la Tunisie sera-t-elle le premier pays à réellement mettre en place la démocratie et les conditions d’un nouveau décollage économique ? Après un paroxysme en 2013, la situation s’est assagie avec la mise en place d’un dialogue national et d’un gouvernement de techniciens qui doit déboucher d’ici la fin de l’année sur une élection présidentielle véritablement démocratique. Sans attendre, Adel Ben Lagha, nouveau consul de Tunisie à Lyon entend accompagner un plan de développement susceptible d’intéresser les entreprises rhônalpines à travers le concept de « co-localisation » qu’il veut promouvoir. Entretien.

 Vous avez pris récemment vos fonctions comme consul général de Tunisie à Lyon. Quelles sont actuellement le niveau des relations économiques entre la Tunisie et la région Rhône-Alpes ?

 Il faut savoir qu’il y a 100 000 personnes d’origine tunisienne vivant en Rhône-Alpes.

 Les échanges commerciaux sont importants puisqu’ils représentent près d’un milliard d’euros. La Tunisie exporte pour 490 milions d’euros en Rhône-Alpes, et elle importe pour 575 millions d’euros de produits rhônalpins. Ce flux de marchandises est réalisé par six cents entreprises rhônalpines.

 Au niveau national, la France est toujours le premier partenaire de la Tunisie.

 Les médias français parlent actuellement beaucoup moins de la Tunisie que l’année dernière. Est-ce à dire que la révolution est entrée dans des eaux plus calmes ?

 C’est vrai, la révolution a connu l’année dernière un paroxysme. Mais le peuple tunisien a su trouver les ressources pour mener un dialogue national aboutissant à la mise en place d’un gouvernement de techniciens qui a pour tâche de mener le pays vers des élections présidentielles et législatives démocratiques d’ici la fin de cette année. Le processus est en cours et nous avons bon espoir, même si on ne peut exclure encore quelques petites poussées de fièvre.

 On constate un début de maturité des partis politiques qui comprennent que l’exclusion de l’autre ne peut plus prévaloir et qu’il faut travailler ensemble. Avec la pratique et l’usure du pouvoir, les islamistes ont compris beaucoup de choses et sont devenus plus pragmatiques. J’ai bien conscience que nous revenons de loin, nous avons été proche du gouffre, mais le pays a su se ressaisir avant qu’il ne soit trop tard.

 Face à cette évolution, les touristes reviennent-ils ?

 Oui, ils sont en train de revenir. Les réservations sont supérieures de 60 % cette année par rapport à l’année dernière et l’on pourrait bien retrouver en matière de fréquentation le niveau de l’année record de 2010 qui était de sept millions de touristes. Les compagnies aériennes opérant à partir de Lyon-Saint Exupéry sont heureuses de constater une hausse de leur taux de remplissage.

 Quelle est la tâche assignée par le gouvernement tunisien en matière économique au diplomate en poste à Lyon que vous êtes ?

L’économie est repartie. Après une baisse du PIB en 2011 de 2 %, la croissance s’est établie en 2013 à 3,6 %. Pour accompagner ce mouvement, nous avons engagé un plan de développement économique.

 Sur quoi se base-t-il ?

 Nous voulons notamment développer ce que nous dénommons la « co-localisation ». Il ne s’agit pas de délocaliser, mais de monter des partenariats entre les entreprises rhônalpines et les entreprises tunisiennes pour aller chercher de nouveaux marchés en Afrique. Prenons l’exemple d’un appel d’offre au Sénégal : une entreprise rhônalpine et une entreprise tunisienne peuvent y répondre ensemble, l’une apportant ses coûts salariaux moindres et l’autre sa technologie de pointe, dans le cadre d’un binôme gagnant-gagnant.

 Quels secteurs entendez-vous privilégier ?

 Nous voulons d’abord engager des partenariats avec les entreprises rhônalpines dans le domaine textile. Vous savez que l’industrie textile est importante en Tunisie, mais elle est de moins en moins compétitive. Nous voulons monter en valeur ajoutée et nous développer dans le domaine des textiles techniques et des textiles intelligents, des secteurs où Rhône-Alpes est forte.

Nous voulons également nous développer dans le secteur des énergies renouvelables : notre plan de développement prévoit 30 % d’électricité durable à l’horizon 2030.

 D’autres domaines ?

 Oui, le numérique. Ce que l’on sait peu en France, c’est que le secteur du numérique est en Tunisie aussi important que le tourisme : chaque année 12 000 ingénieurs sortent des Ecoles et des Universités. Nous avons 1 200 entreprises du secteur numérique. Si nous pouvions collaborer ensemble là encore sous forme de binômes, les deux parties y trouveraient véritablement leur intérêt.

 De tels binômes existent-ils déjà ?

 Pas encore en Rhône-Alpes, mais j’ai bon espoir. Il en existe déjà vingt-sept entre la France et la Tunisie. Il faut savoir qu’un fonds d’investissement de 30 millions d’euros a été créé à l’occasion de la visite du président Hollande en Tunisie dans le cadre de l’alliance franco-tunisienne pour le numérique.

 C’est dans ce cadre que le 15 septembre prochain se déroulera à la CCI de Lyon une rencontre pour étudier les synergies à mettre en place entre les opérateurs rhônalpins et tunisiens pour viser les marché de l’Afrique et du Moyen-Orient. Pour ce faire, nous travaillons avec le pôle de compétitivité Imaginove et le Cluster Edit

 Une collaboration décentralisée qui était très active existait depuis 1984 entre la région Rhône-Alpes et la région de Monastir. Où en est-elle ?

 Elle a été suspendue pendant la crise que nous avons connu par le président de la région Jean-Jack Queyranne, mais nous travaillons désormais ensemble pour la relancer. Parmi les pistes étudiées : la formation de deux cents cadres territoriaux pour accompagner la décentralisation qui est en train de se mettre en place en Tunisie. Une collaboration est également en train de se mettre en place avec l’Université de Lyon pour développer des formations professionnalisantes . Cette relance de la coopération décentralisée a pour nous valeur de symbole.