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Le destin de l’Europe aux Jéco

La vision de cinq experts, dont un prix Nobel d’économie et deux anciens ministres, partagée lors d’une rencontre phare des Jeco, du 4 au 6 novembre à Lyon.

Si chacun peut remercier Donald Trump d’avoir contribué à la solidarité contrainte des pays européens, son destin semble loin d’être souverain.

Pour Jean Tirole, prix Nobel d’économie et professeur à l’université de Toulouse et au MIT, la souveraineté n’est pas gagnée : entre baisse de productivité (un tiers plus faible que celle des États-Unis), incapacité avérée à défendre l’Ukraine, bataille perdue contre la corruption américaine… la liste des faiblesses s’allonge.
« De plus, l’Europe compte 27 systèmes juridiques différents. »
Autre sujet sensible : l’innovation. Selon lui, « Nous sommes à la ramasse. » Un retard technologique qui s’explique par « un investissement trop faible, parfois dans les mauvais secteurs et avec une mauvaise gouvernance. » Un désinvestissement quasi irrattrapable.

« On dépense beaucoup dans l’automobile, et on passe à côté des biotech et tech. De plus, l’endettement à hauteur de 115% laisse peu de perspectives de croissance. On ne fait que léguer des dettes à nos enfants. On déplace des transats, pendant que le Titanic coule. »

Une Europe inachevée selon Sylvie Goulard

Plus optimiste, Sylvie Goulard, ancienne ministre des Armées et membre de l’Institut Franco-Allemand, spécialiste de l’Union européenne, appelle à l’action : « Il faut que nous nous bougions sérieusement, nous les Européens. »

Selon elle, « nous payons le prix d’une Europe inachevée car elle n’existe pas en matière de défense et diplomatie ». Il s’agirait de savoir quelle Europe nous voulons. Et la déception concerne aussi et surtout la promesse de prospérité et d’équité non tenue.

Parmi les remèdes : lutter contre la facilité et arrêter de se comparer aux USA et à la Chine. « C’est faire un jogging avec des palmes. »

Clément Beaune : « La souveraineté, c’est l’impact et l’efficacité »

Pour Clément Beaune, ancien ministre chargé de l’Europe et aujourd’hui haut-commissaire à la Stratégie et au Plan, « la souveraineté consiste à avoir de l’impact et de l’efficacité. »

Et en sortir, à l’instar de l’Angleterre, rendrait un État moins souverain. Même si le deuil est au rendez-vous : « L’Europe ne sera jamais la projection politique qu’on attend. »

André Loesekrug-Pietri : « Nous sommes au cœur d’une catastrophe »

De son côté, André Loesekrug-Pietri, président de JEDI (Joint European Disruptive Initiative), estime que « nous sommes au cœur d’une catastrophe ». Ainsi, le marché des semi-conducteurs européens se réduit aujourd’hui à une part de marché de 9 % au lieu de 20 % en 2000. Car, de leur côté, les régimes autoritaires misent sur l’innovation de masse. Selon lui, nous sommes moins rapides, moins flexibles, avec des institutions qui nous ralentissent.

Hélène Rey : un regard lucide sur le marasme européen

Avec une pointe d’humour, Hélène Rey, professeure d’économie à la London Business School, lance : « Ça fait du bien d’évoquer l’Europe, par temps de marasme national. »

Selon elle, pas facile de lutter face à l’appétit protéiforme de la Chine et des États-Unis. « Nous ne sommes que 450 millions face au 1,4 milliard de Chinois. Tandis que de l’autre côté de l’Atlantique, l’Europe devient une cible. »

Réformer l’Europe : une nécessité ?

Ainsi faudrait-il « réformer » l’Europe ? Pour Jean Tirole, plusieurs leviers : développer l’euro numérique, sauvegarder le droit de la concurrence, régler les problèmes de gouvernance.
Sylvie Goulard, évoque de son côté le problème des langues différentes des pays de l’Union, pas insurmontable selon elle.
Mais le plus important et surtout la grande victoire, « c’est que nous avons réussi à créer l’Europe de la Paix ».