Toute l’actualité Lyon Entreprises

Dominique Steiler (Grenoble Ecole de Management) : “On ne résoudra pas les problèmes de la planète sans décréter la paix économique ”

Dans une école qu’on croyait dédiée essentiellement au business et à la finance, il existe au sein de Grenoble-Ecole de Management, une chaire intitulée “Paix économique, Mindfulness (ndlr : méditation de pleine conscience) et bien-être au travail”. Elle s’intéresse bien sûr à la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE), mais va bien plus loin en y rajoutant cette notion de “paix économique” qui veut s’opposer à celle, très longtemps, voire toujours, en vogue, de “guerre économique”. Une chaire unique en France qui prend un peu plus d’envergure chaque année. Dominique Steiler, son initiateur, docteur en management et enseignant à Grenoble Ecole de Management en dévoile les ressorts et les ambitions qui ressemblent beaucoup au “monde d’après” que l’on aimerait voir surgir. Entretien.

Qu’est-ce qui vous a amené à créer cette chaire ?

Dominique Steiler– Nous avons lancé cette chaire en 2012, en partenariat avec un certain nombre d’entreprises comme ARaymond, HPE, Thermocompact, Harmonie Mutuelle, Bollhoff Otalu, les établissements Cros…

Lorsque nos avons créé cette chaire, beaucoup ont dit qu’elle n’allait pas tenir six mois. Or, nous entrons dans notre 4ème cycle de trois ans…

Nous existons toujours car la prise de conscience s’élargit d’année en année.

On peut aussi imaginer que c’est l’aboutissement d’un parcours, le vôtre ?

D’une certaine manière, oui. Enseignant à Grenoble Ecole de Management, je suis docteur en management et c’est vrai, j’ai un parcours un peu spécial, j’ai été pilote de chasse dans l’Aéronavale où j’ai effectué ma thèse de santé des armées.

Je me suis tôt spécialisé sur la personne et l’intime de la personne ; j’ai notamment mené des études sur l’adaptation du handicap. Toute cette démarche m’a amené à la création de cette chaire.

Dans son intitulé, ce qui frappe d’emblée c’est cette notion de “paix économique”. Quelle est l’idée qui se situe derrière ce concept ?

Cette notion de “paix économique” vient pour faire un contrepoint à la notion de “guerre économique”. On veut nous faire croire que c’est une vérité, cette “guerre économique”. En fait, non il s’agit d’une simple représentation.

Pendant la crise Covid, la société ARaymond n’a pas versé de dividendes à ses actionnaires, estimant qu’il fallait avant tout privilégier et préserver l’emploi et que ce n’était pas concevable dans une période de crise. Pour moi, c’est un exemple, un acte typique de paix économique.

La question fondamentale est là : la guerre économique, ça ne marche pas, c’est un modèle économique qui a tendance à détruire : ce modèle a un impact sur le vivant. Notre modèle économique est fondé sur la dégradation de la ressource. C’est un modèle destructeur, sur le social, sur l’éducation.

En quoi est-il destructeur sur l’éducation ?

Notre modèle éducatif est uniquement tourné vers l’emploi. Et ça commence à la maternelle où on vous somme par exemple d’apprendre l’anglais, alors qu’il faudrait développer des adultes responsables, épanouis.

Les choses ne changeront véritablement que par l’éducation. Il faut d’abord se poser la question : quel modèle éducatif veut-on pour nos futurs managers ?

Si on continue à les former de la même manière, les mêmes causes produiront les mêmes effets.

Revenons à la “paix économique”. Comment la mettre en œuvre ?

Nous partons du constat que l’économie est fondamentale. Le corps économique est là pour créer des biens économiques, mais pas là uniquement pour créer des profits.

La paix économique, ce n’est pas un modèle économique, c’est un concept qui dit que l’économie a pris dans nos sociétés une place prépondérante sur l’ensemble du vivant. Notre centre de recherche veut penser l’économie d’une manière différente, qu’elle soit utile pour l’ensemble des acteurs de la société, qu’elle ne dégrade pas la société, qu’elle ne provoque pas des crises à répétition.

Or, le problème que l’on rencontre actuellement est que la politique est de plus en plus assujettie à l’économie. C’est là où se situe le nœud le plus difficile à dénouer.

Comment alors dénouer ce nœud ?

Pour moi, un des aspects majeurs est la question du sensible, à la nature, qu’on ne dégrade pas, au social. On a oublié, on a perdu cette dimension. Il faut la retrouver. L’insensibilité nous fait détruire.

Optimiste, alors pour l’avenir ?

J’ai plutôt tendance à être optimiste sur la nature humaine. Et lorsqu’on pose son regard sur l’entreprise, on se rend compte que la grande majorité des personnes qui la constituent ne demandent qu’à aller dans la bonne direction, ont de bons réflexes.

La question qui se pose est de savoir si ceux qui détiennent l’argent et le pouvoir ont la capacité de vouloir véritablement changer les choses…