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Air France contre Emirates ou Saint Exupéry, métaphore de la mondialisation

Longtemps, l’aéroport de Lyon Saint Exupéry a constitué la chasse gardée d’Air France qui était alors de loin la première compagnie opérant à partir de l’aéroport rhônalpin.

 Constatant que l’aéroport ne faisait pas autre chose qu’accompagner la compagnie nationale dans son déclin, la direction de l’aéroport a, avec un temps de retard par rapport à la plupart des autres plate-formes aéroportuaires françaises, enfin décidé de favoriser le transport low cost et de ne plus privilégier les ailes françaises.

 La suite, on la connaît : le low cost a pris une place très importante, amenant Air France, longtemps réticente à devoir, elle aussi choisir ce modèle économique, en développant à partir de Lyon-Saint Exupéry, successivement la compagnie Transavia, une forme de compagnie low cost loisirs, puis Hop ! toujours low cost, mais pour les courts et moyens courriers. Un peu tard, certes, mais il n’y avait plus le choix.

 Air France qui n’opère plus sous ses propres couleurs que quatre vols à partir de Lyon-Saint Exupéry s’est repliée sur son pré-carré : les vols longs courriers, les seuls qui, pour une compagnie comme elle, restent encore rentables. Elle rabat donc vers Paris sa clientèle en provenance des régions françaises.

 Emirates, désormais première compagnie au monde

 Mais même là, le modèle économique est en train de souffrir. Car, patatras pour Air France, Emirates s’est posée en Rhône-Alpes, en décembre 2012 pour lancer une ligne Lyon-Dubaï. Il ne s’agit pas là d’un poids léger, mais désormais de la première compagnie au monde avec…39,4 millions de passagers transportés l’année dernière.

 L’objectif principal de la compagnie du Golfe ne vise pas à ce que ses passagers se rendent et restent à Dubaï, mais se servent de l’impressionnante plate-forme de correspondance de l’émirat pour rejoindre les parties du monde actuellement les plus dynamiques : l’Asie, l’Inde et l’Afrique, concurrençant directement le « hub » parisien d’Air France à Paris sur ces destinations.

Du fait de sa bonne position géographique, il est désormais plus rapide et souvent plus simple pour un certain nombre de passagers, de passer par Dubaï, pour rejoindre Delhi, Pékin, Bangkok ou Sydney que de remonter sur Paris. Pour le faire savoir, Emirates a d’ailleurs mis en place une stratégie de communication impressionnante : par exemple, la compagnie vient de remporter pour cinq ans le sponsoring des internationaux de France à Roland Garros….

 Et c’est là où les responsables d’Air France tordent le nez car leur politique de relier Lyon à Roissy et Orly, via deux des quatre navettes restantes sous pavillon national à Saint Exupéry, pour emprunter ses vols long-courriers, se trouve mise à mal.

 Plus ennuyeux pour les ailes tricolores, Lyon, n’est pas le seul aéroport régional concerné : Emirates s’est également posé avec le même succès à Nice et aimerait bien atterrir aussi à Toulouse, Bordeaux et Marseille, souhaitant des discussions avec l’Etat français pour obtenir gain de cause.

Le résultat de cette stratégie offensive pour l’une (Emirates) et défensive pour l’autre (Air France) se lit dans leurs comptes respectifs. Au cours de son exercice clos le 31 mars, Emirates a vu son chiffre d’affaires bondir de 17 % à 19,9 milliards de dollars tandis que son bénéfice net s’envolait de 52 % à 622 millions de dollars.

 Perte de 530 millions d’euros pour Air France-KLM

 Dans le même temps, Air France-KLM annonçait une perte d’exploitation de 530 millions d’euros.

 Certes, les dirigeants d’Air France ont raison de dire que les charges ne sont pas les mêmes pour Emirates qui ne paie pas de redevance pour l’utilisation de l’aéroport de Dubaï, par exemple, tandis que les charges sociales sont bien moins lourdes.

Jean-Cyril Spinetta, le président d’Air France qui assistait jeudi dernier à sa dernière «AG» en a remis une couche en soulignant qu’Emirates ne réalisait que 10 % de son chiffre d’affaires dans le Golfe et le monde arabe alors que 30 % provenaient de l’Europe et 30 % de l’Asie.

Et d’ajouter : «Air France KLM réalise plus de 60 % de son chiffre d’affaires en Europe». Il a aussi annoncé qu’il avait demandé à la Commission européenne des « vérifications des conditions de concurrence» des opérations d’Emirates. Et ce, alors qu’Emirates a demandé au gouvernement français de passer à Lyon de cinq à sept vols par semaines.

S’il existe un marché mondialisé, c’est bien l’aérien et une compagnie n’a d’autre choix que de s’y adapter ou de mourir. C’est la loi d’airain de la mondialisation

 L’Emirat a réussi là où d’autres dans la même région ont échoué, en jouant habilement de sa situation géographique, en investissant fortement, en jouant à fond sur la qualité de service.

 Engoncé dans un modèle économique daté ne correspondant plus à l’état du marché, Air France a tardé à réagir et à se doter d’une vraie stratégie. Il est vrai désormais que ses comptes s’améliorent-lentement-tandis qu’Emirates accentue son avance : la compagnie qui compte à ce jour 31 Airbus A380 a ouvert pour la seule année dernière dix nouvelles destinations au départ de Dubaï !

 Air France n’a pas fini de souffrir car la direction de l’aéroport rhônlapin compte bien désormais, après l’hémisphère sud, trouver l’équivalent d’Emirates pour les Amériques.

 Certes, il est très facile de réécrire l’histoire, mais si à l’époque de sa splendeur, la compagnie tricolore à la culture très centralisatrice, avait fait de Lyon un véritable hub, à l’instar de celui de Roissy, on n’en serait peut-être pas là…