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Interview de Thibault Honegger et Florian Larramendy, respectivement Président et Directeur Général de Netri

Quel est votre parcours professionnel ?

Thibault Honegger : « Je suis diplômé de l’Ecole centrale de Nantes. J’ai ensuite obtenu un doctorat de l’Université de Grenoble Alpes portant sur l’utilisation de dispositifs microfluidiques visant à traiter le cancer. J’ai ensuite effectué un postdoctorat de 2 ans au MIT de Boston. Là-bas, je me suis plongé dans le domaine des neurosciences. L’idée de construire des laboratoires sur puces pour les neurosciences m’est alors venue. J’ai par la suite rejoins le CNRS, puis nous avons créé NETRI avec Florian en 2018

Florian Larramendy : « J’ai obtenu une thèse à Toulouse portant sur l’interface entre neurones et puces électroniques. J’ai fait ensuite mon postdoc entre l’Allemagne et le Japon durant 4 ans, où j’ai développé des dispositifs adaptés aux neurosciences. Puis j’ai rejoint Thibault dans son projet au CNRS. Nous avons ensuite eu l’idée de créer NETRI. »

Comment est né le domaine de la microfluidique appliqué au champ médical ?

Thibault Honegger : « Quand j’étais aux Etats-Unis, il y avait une tendance portant sur les organes sur puce. L’idée ? Recréer la fonctionnalité d’un organe au sein d’un dispositif microfluidique. C’est Donald E.Ingber qui en est à l’origine. Donald E.Ingber a créé le poumon sur puce en réalisant une simple interface de cellules. Cette innovation a été une telle réussite que la FDA (Food and Drug Administration) l’a approuvée en 2017. Cela a été le Design of the Year de 2016 ! Cela a permis de trouver de nouveaux traitements contre la mucovisidose !

Cependant, le cerveau demeure un organe trop complexe pour être adapté à ces technologies. Florian et moi travaillons sur le cerveau depuis maintenant 6 ans, nous nous inscrivons dans cette mouvance des organes sur puce mais pour notre part appliquée à la neuroscience.

Quelle est la signification du sigle NETRI ?

Florian Larramendy : « NETRI signifie « Neuro Engineering Technologies Research Institute. » NETRI est un laboratoire privé dans lequel nous développons nos propres technologies pour les neurosciences. Il s’agit véritablement de notre cœur de métier. »

Quels sont vos 3 avantages-clients majeurs ?

Thibault Honegger :

  1. « Premièrement, nos puces permettent de construire des circuits neuronaux complexes à base d’imageries de cerveaux humains. C’est un outil unique car il reproduit à l’identique le circuit neuronal affecté.

  2. Deuxièmement, ces dispositifs, contrairement aux travaux fait chez l’animal, peuvent être « empilés » dans des incubateurs et ainsi peuvent multiplexer les expériences de manière très forte. On appelle cela du criblage très haut débit.

  3. Troisièmement, nous pouvons grâce à notre technologie mesurer quantitativement l’effet d’un médicament. Aujourd’hui il n’est pas possible de mesurer avec précision l’efficacité d’un traitement, il ne s’agit bien souvent que de mesures externes ou cognitives. Nous couplons nos dispositifs avec un système d’enregistrement : cela permet d’enregistrer comment les neurones parlent entre eux et de comprendre la manière dont cette communication est affectée par le médicament pour retrouver une communication normale. 

Nous venons ainsi enregistrer l’activité neuronale à l’échelle de l’ensemble du réseau (à la résolution du neurone), ce qui nous permet d’en tirer des conclusions mathématiques quantifiables et donc de produire un résultat extrêmement reproductible, ce qui est très pertinent pour nos futurs clients.»

Quel type de matériau utilisez-vous ?

Thibault Honegger

« Le matériau que l’on utilise est très peu industrialisable. C’est un polymère qui n’est pas injectable au sens classique du terme. Cela fait environ 20 ans que la difficulté émerge pour le traitement de ce matériau. Florian et moi avons réussi à créer une filière de fabrication permettant d’industrialiser ce polymère sur des structures complexes et à des résolutions très fortes. C’est un procédé unique au monde que nous avons breveté. »

Quels sont vos types de clients ?

Thibault Honegger

« Nous avons actuellement différents types de partenaires qui vont évoluer dans le temps en fonction du stade de maturation de nos technologies. A l’heure actuelle, nos principaux partenaires sont les neuroscientifiques ayant le savoir des circuits neuronaux. Nous leur fabriquons à façon des circuits neuronaux qui leur permettent de résoudre leurs problématiques scientifiques.

NETRI commence à avoir des partenaires qui sont des CRO, des CMO, c’est-à-dire des entreprises ayant des modèles animaux réalisant des études pour le compte d’industries pharmaceutiques afin d’évaluer l’efficacité des traitements innovants qu’ils proposent. Ces CRO et CMO sont des partenaires car ils voient dans la microfluidique un outil extrêmement fort de modélisation alternative au modèle animal qu’ils peuvent proposer particulièrement en matière de troubles neurologiques. En effet, il n’existe aujourd’hui pas de traitements curatifs, uniquement des traitements palliatifs.

A terme, nous espérons compter l’industrie pharmaceutique parmi nos clients. Nous poursuivons la validation de nos modèles de façon à pouvoir évaluer l’efficacité de leurs traitements innovants pour raccourcir le temps de développement des médicaments. »

Sur quels segments de marché avancez-vous ?

Thibault Honegger

« Nous adressons deux segments de marchés très importants :

  1. Le premier concerne le monde de l’industrie pharmaceutique. Il est de l’ordre de 20 à 30 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an. 20 % de ces 20 à 30 milliards concernent les troubles neurologiques, ce qui représente un chiffre d’affaires d’environ 6 milliards par an. Les modèles existants connus ne sont pas efficaces. NETRI va donc vers une stratégie de substitution technologique de ce marché.

  2. Le second concerne le marché des organes sur puces : d’ici à 2025, on l’estime à 25 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an. Il y aura de plus en plus de médecine personnalisée et prédictive portée par des organes simples comparés au cerveau.»

Comment financez-vous votre projet ?

Thibault Honegger 

« Aujourd’hui, le projet de NETRI a vu le jour grâce à des investisseurs privés, d’un partenariat bancaire pour financer notre investissement matériel, BPI France et la Région Auvergne Rhone Alpes. Les investissements de demain seront faits par des tours de financements privées ou institutionnels. Ils financeront l’accélération de NETRI qui nous permettra d’investir dans une ligne unique de production industrielle. »

Quelle part représente la R&D au sein de votre activité ?

Thibault Honegger

« Quasiment 100 % de notre activité est orientée sur la R&D. Notre vision est de toujours avoir 2 ans d’avance sur la concurrence. Il faut donc innover en permanence, aussi bien sur nos technologiques que sur de nouvelles idées qui nous viennent : innovation disruptive, innovation d’usage comme innovation de technique de base. »

Comment transformer une idée en véritable innovation-produit ?

Thibault Honegger

« Toute la difficulté de l’innovation consiste dans le passage de l’idée à la preuve de concept et de l’industrialisation. Nos idées extrêmement fortes doivent être mises en application pour en faire de véritables produits. Au sein de notre conseil stratégique et scientifique, chacun peut venir proposer ses idées. Nous les évaluons ensuite afin de voir si elles peuvent se montrer réalistes au regard du marché actuel. Parfois, le marché n’est pas du tout prêt à accepter des disruptions. Cela peut prendre du temps…

Nous pensons que le futur des traitements contre les maladies neurodégénératives doit être une médecine personnalisée et prédictive. Le projet NETRI est extrêmement ambitieux, c’est un challenge, tant du point de vue des problèmes d’industrialisation, des mises aux normes réglementaires que de la diffusion auprès des patients. » 

Quel est votre mode de management ?

Thibault Honegger 

« Nous demeurons très rigoureux en ce qui concerne nos processus et nos façons de travailler. Un exemple : les cultures cellulaires nécessitent une attention permanente et doivent être maintenues toutes les 48h, sinon elles meurent. Le challenge que s’est fixé NETRI nécessite une rigueur scientifique et un engagement que chacun de nos collaborateurs a compris.

Nous avons mis en place un comité de pilotage hebdomadaire avec toute l’équipe, debrief de la semaine passée, stratégie et objectifs de la semaine future »