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Biocarburants, un substitut sans conséquences ?

L’augmentation du prix du pétrole, les effets du changement climatique et la volonté d’indépendance à l’égard des combustibles fossiles ont conduit l’Union Européenne à adopter en décembre 2005 un plan d’action visant à accroître l’emploi d’énergies alternatives[i]. En diversifiant les sources d’approvisionnement en carburant elles offrent également de nouvelles opportunités de revenus aux agriculteurs et préparent le remplacement du pétrole à long terme. Ce plan prévoit, conformément aux mesures requises pour respecter le protocole de Kyoto, la promotion d’utilisation accrue des biocarburants dans le secteur du transport, qui représente environ 21% des émissions de gaz à effet de serre dans l’Union Européenne.

Les biocarburants issus de matières végétales sont divisés en première et deuxième génération, la première, elle-même scindée en la filière huile et la filière alcool. La filière huile utilise des espèces végétales oléifères telles que le palmier à huile, le tournesol et le colza ou de huiles usagés de friture qui offrent des rendements à l’hectare variables selon l’espèce. L’huile végétale brute peut être directement utilisée dans des moteurs adaptés ou ses dérivés (esters) comme additif ou complément du gazole routier ou le fioul de chauffage. La filière du bioéthanol (filière alcool) et son dérivé l’ETBE[ii] représente environs 28 000 ha de betteraves et de blé cultivés en Europe. A côté des ces deux ingrédients majoritairement utilisés, on trouve également la canne à sucre (produite au Brésil) et le maïs. Les biocarburants ainsi obtenus sont incorporés comme d’additifs de formulation ou de lubrifiants. En Europe on utilise essentiellement l’ETBE qui a la propriété de pouvoir être mélangé à hauteur de 15%. Le taux d’incorporation en Europe est en moyenne inférieur à 5 %, pendant que le plan biocarburant français a fixé un objectif d’incorporation de 5,75% pour 2007.

Les biocarburants de deuxième génération pourront être obtenus à partir de la transformation de la lignine et de la cellulose (bois, paille), des cultures de microalgues, le lactosérum (ou petit lait), du Jatropha curcas (se développe en zone aride et permet de réduire l’avancé de la désertification et pourra constituer une alternative prometteuse par rapport à l’utilisation des palmiers à huile ou le soja), le pongamia pinnata (à croissance rapide, résistant à la sécheresse pouvant se développer sur des sols difficiles, mêmes salés) etc. En Allemagne, la première unité pilote de production de biocarburants de deuxième génération devrait être construite pour 2010, alors que les recherches en France viennent juste de commencer.

Aux filières de première et deuxième génération se joint la filière du gaz, carburant obtenu à partir de la fermentation, par des bactéries, de matières animales ou végétales riches en sucre, dont la source principale utilisée étant les boues des stations d’épuration.

On attribue aux biocarburants des qualités de préservation de l’environnement, ce qui explique que les gouvernements et l’Union Européenne encouragent leur utilisation en leur accordant des réductions ou exemptions fiscales (sous certaines conditions) ou subventionnent ce secteur qui a des coûts de production élevés par rapport au carburant fossile. Selon l’ADEME [iii] leur utilisation permet chaque année le remplacement de 300 000 tep[iv] et éviterait l’émission de 800 000 tonnes par an de CO2 dans l’atmosphère. Un deuxième atout résulte de l’augmentation de rendements obtenu par l’incorporation de ces biocomposants dans les carburants.

La production totale en 2005 du Biodiesel a été de l’ordre de 3 184 000 tonnes pour l’Union Européenne des 25 et de 730 000 tonnes pour le Bioéthanol (source ADEME). Le premier producteur européen de Biodiesel est l’Allemagne avec 1 669 000 tonnes suivi de la France et de l’Italie. En ce qui concerne le Bioéthanol, l’Espagne (243 000 t) se trouve à la première place suivi de l’Allemagne (135 000 t) et de la France (115 000 t). Selon les estimations, la production de biodiesel dans l’UE en 2004 aurait nécessité près de 40% de la production de colza de l’UE-25.

En 2005 la production mondiale de bioéthanol destinée au marché des carburants s’élevait à 26,9 millions de tonnes, correspondant à 2% de la consommation mondiale d’essence. Le Brésil est le premier producteur mondial de bioéthanol (13 millions de tonnes) suivi par les USA avec 11,8 millions de tonnes.

Néanmoins, suite à l’augmentation des cours des prix agricoles et la crise alimentaire, les biocarburants ont été montrés du doigt dernièrement et accusé d’y contribuer de manière significative. La FAO[v]a fait part de ses préoccupations par rapport à la production de biocarburants, dans un rapport présenté à Brasilia lors de sa conférence pour l’Amérique Latine. Elle estime que celle-ci s’effectuerait aux dépens de productions vivrières en puisant dans les réserves en eau, en détournant des terres, mais aussi des capitaux. De ce fait elle augmente le prix des denrées alimentaires et « mettra en péril l’accès aux vivres pour les éléments les plus défavorisés ». Selon le directeur de cette même institution, les bioénergies auraient déplacé à peu près 100 millions de tonnes, qui se seraient reportées sur le marché des produits alimentaires. La FAO considère que les biocarburants menaceraient l’accès des populations pauvres aux denrées alimentaires et serait une des principales raisons de l’augmentation du prix de certains produits agricoles.

De son côté l’OCDE[vi] estime qu’ils ne contribueraient qu’à hauteur de 3% à la réduction des émissions de CO2 et produiraient en plus grande quantités des hydrocarbures et composés toxiques tels que les aldéhydes produits par l’éthanol. Elle reste également très critique vis-à-vis des encouragements fiscaux accordés par les états, car selon l’OCDE, il y aura forte incitation de remplacer les écosystèmes notamment des forêts, des zones humides et les pâturages au profit de la production de biocarburants tant que le prix des biocarburants ne sera pas réellement évalué par les marchés. Cette même organisation préconise de ce fait, d’investir dans la recherche sur les filières de deuxième génération au lieu de subventionner les biocarburants de première génération. En effet, les filières de deuxième génération offrent d’intéressantes perspectives productives et environnementales et ne sont pas en concurrence avec la production destinée à l’alimentation mondiale.

Dans un contexte de doute instauré par l’augmentation des prix des denrées alimentaires et la nécessaire obligation de diminuer les émissions de gaz à effets de serre, l’Allemagne vient d’annoncer qu’elle renoncerait à son projet « E10 » qui prévoyait de passer la proportion d’éthanol dans l’essence classique de 5% à 10% dès 2009. Les raisons invoquées n’étant pas de l’ordre moral mais technique.

En tenant compte des éléments négatifs provoqués par l’utilisation des biocarburants de première génération, il est impératif d’évaluer si les désavantages de ce genre de carburant, tel qu’il est actuellement utilisé, ne devraient pas conduire à investir dans la recherche afin de trouver des solutions ne mettant pas en danger l’alimentation mondiale et l’environnement.