La privatisation des autoroutes, une erreur qui se paie cash
D’ordinaire, il faut bien le reconnaître, la privatisation est une bonne chose. L’Etat n’est pas le meilleur gestionnaire et actionnaire qui soit. On s’en est rendu compte dans le passé avec un certain nombre d’affaires retentissantes dont le scandale du Crédit Lyonnais et quelques autres exemples de mauvaise gestion.
On a beaucoup privatisé, à droite, comme à gauche ces vingt dernières années et c’est une bonne chose.
Mais, comme l’a montré la crise financière, le balancier est allé trop loin dans l’autre sens.
La crise nous a montré la nécessité pour l’Etat de retrouver son rôle d’arbitre et de faire appliquer des règles fermes et claires, sans pour autant s’immiscer dans la vie des entreprises.
C’est la raison pour laquelle, la privatisation en 2005 des autoroutes françaises par le gouvernement de Dominique de Villepin, afin de se donner des marges financières et de renforcer le plan de relance de la croissance d’alors, a constitué une double erreur que l’on paie aujourd’hui, avec la hausse des péages et surtout de fortes recettes dont se prive l’Etat.
Une erreur politique et économique
Cette privatisation était une erreur politique et économique pour une raison toute simple : pour qu’un secteur soit privatisable, il est essentiel qu’une concurrence libre et non-faussée puisse s’exercer entre les divers acteurs qui en ont la charge.
Cela signifie que le consommateur doit avoir le choix entre plusieurs produits, et sélectionner celui dont le rapport qualité/prix est le meilleur. De l’économie de marché de base.
Or, avec les autoroutes, ce n’est pas du tout le cas. Le consommateur, en l’occurrence l’automobiliste, n’a tout simplement pas le choix du produit. S’il veut aller de Lyon à Marseille, s’il ne veut pas prendre l’avion ou le train, il est bien obligé d’emprunter la seule autoroute réalisant ce trajet, il n’en existe pas deux. Et ce, quel qu’en soit le prix et la qualité.
Selon une étude réalisée par Laurent Hecquet, l’ex-délégué général de 40 Millions d’automobilistes et fondateur du club de réflexion ‘Automobilité & Avenir’, les tarifs de péages sont à la fois « opaques et injustes ».
Selon ce dernier « aucune amélioration notable du service ne justifie » une hausse des péages systématiquement supérieure à l’inflation. Mieux, pour lui, depuis 2005, dernière année avant la privatisation, le système a viré au jackpot.
Des bénéfices qui ont bondi
Ainsi, par exemple : les Autoroutes du sud de la France (ASF), du groupe Vinci, et les autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR), filiale d’Eiffage, ont vu leurs recettes s’envoler respectivement de 18 % et de 19,65 %, alors que les charges stagnaient (+ 4,6 % et + 0,46 %). A l’arrivée, les bénéfices d’ASF ont bondi de 77,8 % en six ans et ceux d’APRR de… 103 %.
Selon ce même rapport, APRR, qui, comme pour AREA pour les autoroutes alpines, a augmenté cette année ses tarifs de péage de 1,94 %, a vu ses recettes au kilomètre parcouru augmenter de 19,65 % entre 2005 et 2011.
Il ne s’agit pas de jeter la pierre aux sociétés d’autoroutes qui sont dans leur logique-on leur a offert un beau cadeau, elles s’en sont logiquement saisies- mais à l’Etat dont le rôle aurait dû être de préparer le moyen et le long terme et non pas de vendre les bijoux de famille pour boucher un trou du budget.
L’Etat touche toujours 40 % des recettes
Le système est d’autant plus vicié désormais que dans le cahier des charges et cela se sait peu, l’Etat touche tout de même toujours 40 % des recettes de péage (15 % vont au fonctionnement des autoroutes et 45 % aux sociétés autoroutières). Il n’a donc pas intérêt, alors que ses coffres sont vides, à tancer trop vertement les sociétés d’autoroute si elles forcent trop la dose en matière de péage.
Plus grave, la seconde erreur est purement pécuniaire.
Impécunieux ou en faillite si l’on en croit François Fillon ou Michel Sapin, toutes les occasions devraient être bonnes pour gonfler le budget de l’Etat. Les autoroutes lorsqu’elles étaient dans son giron constituaient un véritable jackpot, il l’est désormais pour les compagnies d’autoroute.
En 2005, François Bayrou qui était contre cette privatisation en contestait l’opportunité budgétaire, en affirmant que l’Etat se privait de recettes futures de péages bien supérieures au montant de la vente.
Les recettes de cette privatisation ont été de 11 milliards d’euros pour l’Etat et selon le député de la Drôme, Hervé Mariton, lui-même, favorable à la privatisation, la somme des dividendes d’ici 2032 touchés par les actuelles sociétés propriétaires des autoroutes devait s’établir à 40 milliards d’euros. Certes, il faut intégrer les taux d’intérêt retenus, l’inflation anticipée et de la prise en compte des risques, mais si pas moins de dix-huit entreprises avaient été candidates à la privatisation, c’est qu’elles avaient fait leurs calculs…
Sans cette privatisation, l’Etat bénéficierait de ressources supplémentaires bienvenues dans la conjoncture actuelle, tandis que les automobilistes n’auraient pas l’impression qu’à chaque augmentation des tarifs de péage, on leur tond de la laine sur le dos…