Région : « La lutte contre les travailleurs détachés » : avant tout un affichage politique, avec une efficacité relative
« La lutte contre les travailleurs détachés doit être une priorité et je veux qu’Auvergne-Rhône-Alpes soit à l’avant-garde en la matière ! », a lancé, jeudi 9 février, Laurent Wauquiez, du haut de son perchoir de l’assemblée régionale, lors de la dernière session.
Des accents similaires à ceux des artisans du bâtiment de la Capeb qui ne cessent de tirer la sonnette d’alarme sur ce réel problème depuis des années.
Selon le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, 30 000 des 110 000 des salariés du BTP de la région sont des travailleurs détachés, soit près de 25 %, ce qui, il faut bien le reconnaître est important. C’est d’ailleurs dans le secteur du BTP que les travailleurs détachés, au nombre de près de deux millions en Europe, sont les plus nombreux.
Bref, sus aux travailleurs détachés, pour la région Auvergne-Rhône-Alpes, à l’instar des régions Normandie, Pays de Loire et Hauts-de-France qui ont adopté des clauses similaires.
« Une distorsion en termes de concurrence »
Il convient à ce stade de rappeler ce qu’est un travailleur détaché. Le détachement de travailleurs européens sur le sol français a été introduit par une directive européenne de 1996. Elle autorise un employeur à envoyer un salarié dans un autre état membre en vue de fournir un service…à titre temporaire.
Si en principe (ce n’est pas toujours le cas), le salarié bénéficie d’un salaire équivalent ou supérieur (beaucoup plus rare…) au salaire minimal en vigueur dans le pays de détachement, les cotisations sociales sont celles du pays d’origine. Ce qui est parfaitement légal, mais ce qui pour Laurent Wauquiez « constitue une distorsion en termes de concurrence ».
La seule action dont dispose la région pour lutter contre le travail détaché concerne les marchés publics qu’elle passe tout au long de l’année.
Les entreprises qui soumissionneront sont prévenues : pour obtenir un marché, elle devront d’abord signer une attestation sur l’honneur de non-recours au travail détaché.
Cette attestation est non seulement demandée aux entreprises attributaires de marchés de travaux de la Région, mais aussi à leur sous-traitants. « Il s’agit d’un engagement moral autour d’une cause que nous souhaitons commune avec nos fournisseurs », estime Laurent Wauquiez.
Une pénalité de 5 %
La deuxième clause introduite concerne la langue française que d’aucuns ont surnommé « Clause Molière ». Ainsi, « la Région s’engage à ce que tous les travailleurs employés sur ses chantiers maîtrisent la langue française afin d’en garantir la sécurité. Dans le cas contraire, une pénalité de 5 % du montant du marché sera appliquée… »
Face à cela les élus de gauche du conseil régional sont un peu embarrassés. Ce qui s’est traduit par la réponse de Jean-François Débat, le leader du groupe PS qui, dénonçant « une course derrière l’extrême-droite » reconnaît toutefois que : « Oui, le travail détaché est une concurrence déloyale », avant d’ajouter : « qu’il s’agissait d’une mesure « dangereuse et discriminatoire », mais aussi « floue et inapplicable ».
Il faut savoir d’une part que cette directive de 1996 est en cours de révision, la commission européenne se proposant d’aligner les conditions de travail des travailleurs détachés sur celles des travailleurs locaux, une proposition qui se heurte au refus de onze pays, en majorité d’Europe de l’est. Mais les discussions se poursuivent…
Illégale ?
Il faut également savoir que cette « clause Molière » est en réalité très difficile à faire appliquer, une bonne part des juristes la considérant comme illégale. La situation devrait d’ailleurs évoluer assez rapidement, le ministère de l’Economie attendant l’intervention d’un premier jugement pour pouvoir s’appuyer sur une jurisprudence.
Tout ceci n’empêche pas Laurent Wauquiez de prendre clairement position sur le sujet, il est vrai en phase avec ses propositions lors de la campagne électorale des régionales. Il s’agit d’abord en l’occurrence d’un affichage politique
Car même la mise en place, annoncée au même moment, d’une brigade de contrôle, déployée pour contrôler les cartes professionnels du BTP et la bonne pratique du français sur les chantiers commandés par la région, apparaît compliquée à mettre en œuvre. Et on l’a vu plus haut, elle pourrait se heurter à une barrière juridique.
Seule la préfecture a la main
Enfin, même si les marchés engagés par appels d’offres par la région constituent un volume important, à travers notamment ceux concernant les lycées-une compétence régionale-ils ne constituent qu’une partie des chantiers développés sur la région.
Pour tous les autres chantiers, seule la préfecture a la main. Et là, elle n’agit que sur les détachements illégaux, il est vrai nombreux, eux aussi. Le préfet n’a pas ainsi hésité à arrêter un certain nombre de chantiers, dont celui emblématique de l’hôtel Boscolo sur la Presqu’île lyonnaise.
Au bilan, il y a là un vrai problème, mais il n’est pas sûr que la solution déployée par la région soit suffisante et efficace pour y mettre un terme, et apte à respecter l’esprit européen…
Il est donc urgent que Bruxelles revoit sa copie.