Mobilité urbaine : vers une contribution du e-commerce pour financer le « RER à la lyonnaise » ?
Alors que les projets de mobilités durables se multiplient dans la Métropole de Lyon, une proposition émerge avec force : faire contribuer les plateformes de e-commerce au financement des infrastructures, notamment les SERM, ces futurs trains express régionaux à la lyonnaise. Une idée portée par Christophe Geourjon, conseiller métropolitain et régional, qui souhaite rééquilibrer les efforts financiers entre acteurs locaux et géants du numérique.
Une proposition face à une réalité économique déséquilibrée
Le constat est partagé par nombre d’élus et de commerçants : les plateformes de e-commerce bénéficient largement des infrastructures sans y contribuer proportionnellement, tandis que les artisans, commerçants et TPE doivent assumer des charges multiples (loyers, taxes, coûts fixes).
En 2023, le chiffre d’affaires du e-commerce en France a atteint 160 milliards d’euros (source FEVAD), en hausse de 98,6 % depuis 2017. Dans le même temps, le nombre de colis livrés a bondi de 60 %, atteignant 1,7 milliard de livraisons en 2024, soit près de 6 millions par jour (source ARCEP).
Ces volumes colossaux mettent une pression considérable sur les réseaux de transport urbains, notamment dans les zones denses comme la Métropole de Lyon. Or, les coûts liés à la congestion, à l’entretien des voiries et au développement des infrastructures sont aujourd’hui principalement supportés par les collectivités… et indirectement par les contribuables locaux.
Une idée simple : un levier de financement sans créer de nouvelles charges pour les TPE/PME
La proposition défendue par Christophe Geourjon repose sur un principe d’équité fiscale. L’idée ? Instaurer une contribution spécifique des grandes plateformes de e-commerce (Amazon, Temu, Shein, etc.) pour le financement des mobilités du quotidien.
Cette ressource complémentaire permettrait de :
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Participer à l’essor des SERM (Services Express Régionaux Métropolitains), projet de RER à la lyonnaise porté par la Région et la Métropole,
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Soutenir des solutions de transport bas carbone, en phase avec les enjeux climatiques et sanitaires,
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Et surtout, éviter d’alourdir la fiscalité locale pesant déjà sur les commerces physiques.
Le projet s’inspire d’une logique comparable à celle de la « loi Darcos », qui a instauré des frais de port minimum de 3 € pour les ventes de livres. Résultat ? Un rebond de la fréquentation des librairies indépendantes, physiques et en ligne. Pour ses défenseurs, c’est la preuve qu’une régulation bien pensée peut revitaliser les commerces de centre-ville sans freiner l’innovation.
Des commerces de proximité à bout de souffle
Derrière cette réflexion, il y a aussi un signal d’alarme. Les artisans et commerçants locaux cumulent les fragilités : crise sanitaire, inflation, flambée des charges, difficultés d’approvisionnement, fiscalité locale. À l’inverse, les géants du numérique — qui captent une part croissante du chiffre d’affaires — échappent en grande partie aux taxes locales.
Dans les centres-villes de la région Auvergne-Rhône-Alpes, de nombreux commerçants expriment une lassitude croissante face à cette distorsion concurrentielle. Même les professionnels disposant d’une double présence physique et digitale peinent à soutenir la comparaison avec les mastodontes logistiques capables de livrer en 24 heures sans frais.
Vers un modèle lyonnais de fiscalité verte et équitable ?
L’enjeu dépasse la seule question du commerce. C’est l’avenir du financement des mobilités locales qui est en ligne de mire. Avec les SERM, la Métropole de Lyon et la Région veulent offrir une alternative crédible à la voiture individuelle. Mais ce projet structurant — équivalent à un RER francilien — nécessite des ressources conséquentes.
Plutôt que de créer une nouvelle taxe affectant les entreprises locales, l’idée est d’orienter une part des contributions vers les plateformes les plus consommatrices d’infrastructures. Une approche qui serait :
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Socialement équilibrée, en préservant les petits commerces,
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Économiquement soutenable, car proportionnelle aux flux générés,
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Environnementalement cohérente, en accompagnant la transition vers des mobilités bas carbone.
Des obstacles juridiques à anticiper
Si la logique est simple, sa mise en œuvre risque de rencontrer des verrous juridiques et politiques. La fiscalité du numérique, notamment en matière de contributions locales, reste floue en France. Certaines taxes (ex. : taxe sur les services numériques) relèvent de l’État, et les collectivités disposent de marges de manœuvre limitées.
L’instauration d’une contribution territorialisée du e-commerce exigerait donc soit :
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Une loi nationale autorisant une fiscalité différenciée sur les flux logistiques urbains,
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Soit une convention fiscale innovante au niveau local, fondée sur des accords volontaires avec les plateformes.
Dans les deux cas, un dialogue avec les ministères concernés (Économie, Transports) est indispensable. La proposition a d’ailleurs été transmise à Dominique Bussereau, président de la commission de financement des mobilités, ainsi qu’à Éric Lombard (Économie) et Philippe Tabarot (Transports).
Un levier de dynamisation territoriale
Au-delà des enjeux fiscaux, cette réflexion s’inscrit dans une logique de revalorisation des centralités commerciales locales. En reconfigurant l’équilibre entre commerce physique et digital, la Métropole de Lyon pourrait :
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Mieux accompagner les transitions des petits commerces vers l’omnicanal,
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Favoriser les circuits courts et les services de proximité,
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Encourager l’implantation d’activités mixtes dans les zones périurbaines,
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Et stimuler l’innovation locale en matière de logistique urbaine décarbonée.
Les premières expérimentations en ce sens (logistique à vélo, hubs mutualisés, click & collect local) montrent qu’il est possible de repenser la livraison du dernier kilomètre en circuit court, à condition d’en assurer la viabilité économique.
Une opportunité à saisir pour les entreprises locales
Pour les entreprises de la région Auvergne-Rhône-Alpes, cette proposition ouvre des perspectives :
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Prestataires de mobilité, qui pourraient bénéficier d’un soutien renforcé dans les futurs marchés publics liés aux SERM,
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Startups de la logistique verte,
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Conseils en stratégie territoriale, qui accompagnent les collectivités dans l’élaboration de nouveaux modèles de financement,
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Associations de commerçants, qui trouveraient dans cette réforme un appui pour relancer la fréquentation des centres-villes.
La question reste ouverte : la Métropole de Lyon osera-t-elle expérimenter cette voie ? Et si oui, quels partenaires économiques seront prêts à l’accompagner dans cette refondation du pacte fiscal local ?